Définitions de mots inventés
MOCHIPI
- Ustensile de cuisine servant à couper les spaghettis en petits morceaux égaux. (Sabine)
- Petite touche de cheveux synthétiques qu'on ajoute à une perruque pour la rendre plus fournie.
Synonyme: mini-toupet. (Vanessa)
BAOUAKAR
- Animal de l’ouest de l’Afrique, de la famille du singe, à poils longs et blonds, qui voit la nuit et ne dort jamais. (Sabine)
- Plat rond en terre cuite dans lequel on sert les loukoums dans certaines régions de Turquie. (Vanessa)
REVOLBE
- Pain à base de blé qui fait rêver. (Sabine)
- Tourmenté par l'inquiétude. Exemple: Elle ne m'a pas appelé depuis huit jours, je suis révolbé. (Vanessa)
SITANU
- Plante du marais poitevin, à grandes feuilles rouges, qui produit un fruit du même nom semblable à la cerise et comestible. (Sabine)
- Cahier au papier luxueux réservé à l'écriture de haïkus. (Vanessa)
DELUITOR
- Médicament qui rend aimable, sous forme de sirop ou de granulés. (Sabine)
- Insecte tropical ressemblant à un moustique géant, dont la piqûre provoque des hallucinations. (Vanessa)
Comparaisons et métaphores
Chaque mercredi à 13h14, avec une précision d'horloge suisse, je prends le bus 351 pour rejoindre Bondy, terre lointaine que nous atteignons après une traversée mouvementée dans les eaux agitées des banlieues avoisinantes. Là-bas je fais un stage de thérapie familiale dans un centre spécialisé, telle un novice recevant un enseignement de kung-fu auprès des moines shaolin.
Mais aujourd'hui, j'ai attendu en vain le bus 351. Ce fut comme une déchirure dans le tissu régulier des mercredis. la régularité de ce bus, rassurante comme le refrain d'une chanson, avait fait place à un chaos de fin du monde. J'entendais des coups de sifflet perçants comme des aiguilles, je voyais des agents orienter les voitures affolées comme des fourmis qui auraient perdu leur fourmilière; tout était confus comme si les cartes avaient été rebattues et que personne ne connaisse les règles de ce nouveau jeu. Quant à mon bus, il se faisait attendre tel un dieu ingrat.
J'eus enfin la clé du mystère: une manifestation s'organisait non loin de là, telle une armée en marche, semant le trouble parmi les voitures et les autobus. Alors, petit poussin désorienté, je rentrai au nid et manquai un jour de stage.
Vanessa
Elles étaient célèbres les colères de Jacques Louvain. Jacques Louvain, c’était le comptable de notre société. Moi, je n’y ai jamais rien compris à la comptabilité. Une nébuleuse obscure qui occupait le bureau n°60 au fond du couloir. Jacques Louvain, c’était l’éclair qui sortait de la nébuleuse. Pas un éclair de lumière, non, un éclair d’orage, de gros orage, un orage d’enfance parce qu’on a tous un orage qui nous a fait très peur quand on était enfant et que l’on oubliera jamais. Et ces colères elles avaient la régularité d’un métronome. Le vingt-cinq de chaque mois, on devait lui remettre nos fiches à Jacques Louvain. En bas des colonnes, nous disait-il, il y a les plateaux d’une balance et le plateau des sommes encaissées doit être plus bas que celui des frais dépensés. La balance elle doit toujours pencher dans ce sens, nous disait-il, jamais dans l’autre. Et le vingt-huit de chaque mois, l’orage éclatait. On travaillait comme d’habitude, et tout à coup, sans qu’on l’ait vu arriver, Jacques Louvain se mettait en colère. Son visage devenait rouge comme une fraise à peine mûre pour virer finalement au rouge sang. Ses mains tremblaient comme les voiles d’un bateau un jour de tempête. Les veines de son front ressemblaient à un ruisseau un jour de crue. Sa voix s’élevait, de plus en plus forte, comme la trompette qui s’emballe. Tous nous nous demandions alors quel était le malheureux dont les plateaux de la balance penchaient du mauvais côté. Le couloir devenait immédiatement silencieux. Nous devenions muets comme des carpes et les oiseaux en promenade rentraient immédiatement au nid. Puis, la tornade sortait de son bureau pour rejoindre celui du futur condamné. La porte claquait comme un coup de fouet. Cela n’était vraiment pas nécessaire de la fermer parce que les murs étant aussi fins que du papier à cigarette, nous entendions tout. Alors, chacun soupirait de soulagement, à tel point qu’un léger courant d’air soulevait les feuilles de nos dossiers. Enfin, après discussion et explications, l’orage s’évanouissait. Jacques Louvain ouvrait la porte et regagnait son bureau comme si de rien n’était.
Sabine
La voix d'un autre
Je m’appelle Jacques Louvain. J’ai cinquante-trois ans. Je suis comptable. Enfin, directeur du service comptabilité de la société Eresta, une société spécialisée dans la création de logiciels informatiques pour les hôpitaux. La comptabilité, j’adore ça. J’aime les chiffres, les colonnes, les sous-comptes à créer, et par-dessus tout la rigueur du raisonnement comptable. Tenez, par exemple, quand vous faites une erreur, quand vous ne passez pas une écriture correctement, que vous l’écrivez au débit du sous-compte au lieu de l’écrire au crédit, et bien vous ne pouvez pas l’effacer. Non, il faut passer une écriture en sens contraire, puis ce n’est qu’après que vous pouvez inscrire l’écriture exacte. J’adore cela l’erreur qu’on ne peut pas effacer mais seulement corriger. Quand je l’ai rencontrée, ma femme m’a dit que pour un homme ce n’était pas normal. Elle a insisté sur le fait que les hommes effacent toujours leurs erreurs, plutôt rapidement d’ailleurs a-t-elle ajouté, jamais ils ne corrigent, jamais ils ne s’excusent. Malgré cela je l’ai quand même épousé. Mais je m’éloigne. Revenons-en à mon travail. Je sais que j’ai l’air gentil quand on me voit. Mes traits du visage un peu relâchés, mes joues rondes, ma mèche de cheveux sur le front et mes paupières tombantes peu donnent même un air un peu mou. Mais je fais toujours preuve d’énergie et de rigueur. C’est ce que je leur apprends à mes collaborateurs. Il faut réagir rapidement. Ne pas attendre pour passer une écriture, travailler au jour le jour, bien classer ces dossiers, c’est important. Et je vais vous étonner : je suis réputé pour mes colères. Ma colère du vingt-huit de chaque mois. On ne m’a jamais rien dit à ce sujet mais j’ai surpris quelques mots, quelques allusions, de-ci de-là. Le vingt-cinq du mois, les commerciaux de la société doivent m’apporter leurs fiches de recettes et de dépenses. Et là, il y en a toujours un qui n’a rien compris. La balance, je la leur explique régulièrement. Il faut que le plateau des recettes soit plus bas que celui des dépenses. Alors, je me mets en colère dès que je vois une balance qui penche en sens contraire. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. Je crois que c’est parce qu’à la maison, il m’est presque impossible de me mettre en colère. Quand je commence à râler, ma femme me dit qu’on n’est pas le vingt-huit et que je ne suis pas au bureau. Je me demande comment elle est au courant. Elle n’a jamais voulu me le dire. Bon, maintenant, il faut que je vous l’avoue : avant la comptabilité il y a quand même ma femme et mes trois enfants. Ceux-là ils m’amusent beaucoup. Je passe mes soirées et mes week-ends avec eux. Souvent, en fin de journée, j’ai hâte de rentrer à la maison. Mais ne l’écrivez surtout pas car chez Eresta j’ai une réputation à tenir.
Sabine