Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°7



Proposition n°1 : variation sur le cadavre exquis

Série de propositions sur le modèle:
- verbe à l'infinitif + complément
- "c'est" + verbe à l'infinitif + complément
- "c'est aussi" + verbe à l'infinitif + complément
- "c'est encore", etc.


Proposition n°2 : notes en bas de page

- 1er temps : Chacun écrit un extrait de roman fictif.
- 2e temps : chacun intercale dans le texte de quelqu'un d'autre des notes explicatives (points de vocabulaire, détails biographiques, commentaires personnels...).


Proposition n°3 : écriture à partir d'une image

Tout le monde s'inspire de la même image.

Quelques textes du 7e atelier



Variations sur le cadavre exquis

Manger des prunes
c'est perdre ses clés
c'est aussi rire de soi
c'est encore faire des valises
c'est enfin l'heure d'aller se coucher.

Prendre le thé à minuit
c'est manquer de respect envers ses aïeux
c'est aussi se promener une nuit de pleine lune
c'est encore effacer le tableau
c'est enfin revivre son enfance.

Trouver un verbe à l'infinitif
c'est naviguer en pleine mer
c'est aussi écouter le bruit de la mer
c'est encore faire et défaire
c'est enfin bronzer les doigts de pied en éventail.

Prende l'avion
c'est rire avec les enfants
c'est aussi remédier aux insuffisances de la plomberie
c'est encore lire à l'envers
c'est enfin dépasser ses limites.

Couvrir de baisers
c'est le départ en vacances
c'est aussi prendre son temps
c'est encore prendre le temps d'écrire
c'est enfin courir à en perdre le souffle.

Prendre la poudre d'escampette
c'est mourir un peu
c'est aussi partir
c'est encore le temps de sourire
c'est enfin se mettre la rate au court-bouillon.


Notes de bas de page


J'attends sur le quai, le tableau d'affichage annonce un train dans 5 mn. Un homme s'approche de moi, trop près, sans respecter la limite recommandée par la bienséance (1). Il sort la main de sa poche et semble vouloir l'approcher de mon corps (2), mais son geste s'arrête là et il s'esquive. Son attitude m'a troublée et je me dirige sans courir (3) vers le bout du quai. Le train arrive, je me faufile à l'intérieur reprenant mes méditations et mon bilan psychologique de la journée.(4) Station Denfert Rochereau, je descends vers la correspondance. A cet instant même, l'homme de tout à l'heure apparaît ; il vient à ma rencontre (5)....
Gigi

1) La scène se situant à Paris, dans les années 2000, la limite recommandée par la bienséance peut être estimée à un mètre.
2) Il convient de relever, qu'à la différence de ces précédents ouvrages, l'auteur évite toute description physique. L La main est-elle fine ? Potelée ? Poilue ? Ridée ?
3) Cela semble anormal. Toute jeune femme attachée au respect de la limite recommandée par la bienséance aurait marché d'un pas rapide afin d'échapper définitivement à l'importun. Ne ferait-elle pas semblant de fuir ?
4) Elle cherche sûrement l'importun du coin de l’œil.
5) J'en étais même certaine, c'est une aguicheuse !
Sabine


                                                                           ***


Il était arrivé sur le quai il y a plus d’un quart d’heure. (1) Il avait posé son sac de voyage à ses pieds (2) et attendait le bateau. Il devait faire comme si de rien n’était. Ne pas regarder autour de lui l’air inquiet, ne pas lire l’heure à sa montre (3), ne pas faire les cent pas. Alors il attendait, droit, le regard vers l’horizon. Une voile blanche se montra au loin. Il plissa les yeux (4). La coque était rouge. C’était lui. A l’heure probablement. Le vent était fort, il avançait vite et serait à quai dans peu de temps. Mais il entendit des voix (5) qui venaient de la gauche. D’un discret coup d’œil il vit trois policiers avec un chien qui avançaient vers lui d’un pas rapide. Le chien, un berger allemand (6), tirait fort sur sa laisse. Son maître ne le retenait pas. Il prit son sac (7) et continua à scruter l’horizon (8).
Sabine

1) Les calculs effectués depuis permettent d’estimer le temps écoulé à dix-sept minutes et vingt-trois secondes.
2) Il chaussait du quarante-sept et demi.
3) Montre ROLEX d’une valeur de 15 863 euros HT.
4) Le Ministère de la santé rappelle qu’il convient de protéger ses yeux des UVA et UVB par des lunettes adaptées.
5) Selon une étude récente, les hallucinations auditives sont plus susceptibles de survenir chez les personnes aux grands pieds.
6) Le chien était en fait alsacien comme l’indiquait le fort accent de son aboiement. 
7) Un sac LOUIS VUITTON probablement acheté d’occasion à un ami proche. 
8) Ceci est le dernier mot du texte…et finir sur l’horizon, c’est poétique, vous ne trouvez pas ?
Pascal

                                                                           ***

Il partait prendre le train de 20 H (1) son sac sur le dos. Il était sûr de ne rien avoir oublié cette fois-ci. (2)
Ses pensées étaient déjà là-bas, au phare où il allait prendre la relève d'Antoine.
La solitude ne lui faisait pas peur (3) , il connaissait la collection de livres qu'abritait le phare (4) et c'était bien. Il était dans une période de lecture, il cherchait les moindres instants pour ouvrir les livres qu'il avait commencés, car bien sûr il ne lisait jamais un seul livre mais plusieurs à la fois. Depuis quand est-ce qu'il faisait ça? (5)
Marie-Christine

1) A partir du 15 avril, prière de noter que le train de 20H est supprimé. Trains suivants: 21H55 – 23H42.
2) Chéri, toi qui n'oublie jamais rien, rapporte une baguette en rentrant.
3) Les livres sont rangés dans la grande bibliothèque du salon au 1er étage, par thème et par noms d'auteurs, ordre alphabétique, bien entendu.
4) Le phare. A noter sortie nocturne en baie du Mont St Michel ce jeudi 15 mai en l'honneur des phares. Un parcours sur la plage permettra de repérer les 4 phares autour de la baie.
5) Il fait cela depuis qu'il est tout petit ; c'est plus fort que lui.
Gigi

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A peine eut-il prononcé ces mots terribles (1) qu'un coup de tonnerre retentit, et la pluie se mit à battre les carreaux. (2)
- Rosalie, dit-il sombrement, c'est un signe du destin. (3) Les dieux ne veulent pas de notre union. Séparons-nous.
- Non! cria-t-elle, le visage baigné de larmes.
Mais il resta inflexible. Pendant que l'orage (4) grondait, que Rosalie pleurait et que Gilbert faisait les cent pas, un autre drame se jouait dans l'aile nord du château. Albert avait décidé d'en finir avec son frère aîné arrogant. Il s'empara d'un poignard (5) et s'introduisit dans le petit salon sur la pointe des pieds.
Vanessa

1) terribles: du genre orduriers et incendiaires, les tout mélangé.
2) carreaux: cinquante-trois dans cette pièce, la pièce la plus claire bien entendu mais aussi la plus redoutée de la femme de ménage.
3) destin pourri, oui, destin maudit, destin inouï, poil au...
4) déchaînement de la nature, de mauvais augure, mais indispensable à une rupture de cette envergure.
5) argenté, ciselé et initialisé; mais à qui appartient-il, on ne sait.
Gigi

                                                                           ***

Quand Cécilia (1) ouvrit la porte, elle n'en crut pas ses yeux vert pomme (2). Qui était donc ce grand homme blond aux yeux bleus et à la voix sensuelle ? Le destin (3) venait-il de frapper à sa porte ? Se pouvait-il qu'elle fût sur le point de rencontrer l'homme de sa vie ? Cécilia se lit à rêver (4) : ah, si seulement elle n'avait pas quatre-vingt deux ans ; si seulement elle n'était pas si sourde ; si seulement elle n'avait pas tant d'argent. Cécilia, duchesse du Plessy, n'avait jamais connu le grand amour car elle était issue d'une grande famille noble et on ne l'avait jamais désirée que pour sa fortune... et peut-être sa poitrine.
Pascal

(1) Cécilia : prénom dérivé de Cécile. Très connu car est le prénom de l'ex-première dame de France qui n'aura régné que quelques jours puisqu'elle à quitté son mari quelques jours après son élection.
(2). Pomme : fruit biblique, souvent vert. A été offert à Adam par Ève.
(3) Destin : employé par Les Inconnus
- Manu, descends !
- C'est ton destin !
(4) Rêver : en général, surgit pendant le sommeil mais peut occasionnellement, lorsque l'esprit s'échappe et imagine une vie autre, survenir durant l'éveil.
Marie-Christine

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Le temps d'écrire dix-quinze lignes. Sans réfléchir. Ecrire lisiblement (1) afin d'être lue par d'autres. Le début de la renommée... Non, pas encore! C'est trop tôt. (2) Juste quelques lignes sans queue ni tête, ni début ni fin, spontanément. (3) Grosses lettres, petites lettres... Que de variantes possibles. Avec ou sans s ? Ecriture sans faute. Pas d'abréviations, pas d'écriture SMS. (4) A lire à haute voix, sinon incompréhensible! Mais quelle imagination. Différente de la génération précédente. Tout va vite, vite écrire, vite lire. Répondre. Attendre une réponse. (5) Hypertrophie du pouce. (6)
Christiane

1) lisiblement: On remarque ici l'usage très particulier des adverbes dans cet essai. Comme souvent, l'auteur concentre un grand nombre de problématiques en un seul mot: "écrire lisiblement", c'est un geste graphique, mais aussi une posture pédagogique, et même un choix de vie.
2) Il y a dans ce "c'est trop tôt" toute la mélancolie d'un auteur qui avait frôlé le Goncourt deux ans plus tôt, et avait juré suite à cette déception de ne plus jamais écrire de roman. Le présent essai a été suivi de dix-huit opus, marquant la détermination de l'auteur à se faire un nom hors du domaine fictionnel.
3) spontanément : A nouveau, la marque de l'auteur apparaît de façon éclatante dans le choix de cet adverbe plein de nuances. Il y a de l'oxymore lacanienne dans ce spontané-ment.
4) SMS : acronyme de sans médiation secrète.
5) attendre une réponse : Mélancolie de l'auteur qui attendit en vain une lettre du jury Goncourt puis de l'Académie, et qui attend toujours paraît-il.
6) hypertrophie du pouce : Référence autobiographique, l'auteur ayant subi une intervention chirurgicale après avoir développé une troisième phalange au pouce gauche.
Vanessa

Ecriture à partir d'une image commune


Et moi qui l'avait soutenue dans son initiative. Mal m'en avait pris! Oui, m'étais-je exclamé enthousiaste - sans doute pour faire l'intéressant - ce serait effectivement une excellente idée de choisir une même photo pour tout le monde. Nous serions donc tous amenés à écrire un texte à partir d'un même support. Ne serait-il pas stimulant de marquer chacun notre différence dans le traitement de la photo? L'idée était séduisante... a priori...
Lorsque Vanessa nous présenta la photo, je vis se dessiner sur le visage de certains des autres participants un tel désarroi que je regrettai aussitôt de ne pas avoir gardé le silence. Mais que pouvait-on bien raconter sur cette photo ridicule ? La scène présentait, avançant seul dans la toundra, une être grotesque déguisé en cerf. Entièrement revêtu d'une sorte de tapisserie noire aux motifs végétaux criards, cet individu dont aucune partie du corps n'était visible portait en guise de couvre-chef la représentation simpliste d'une tête de cerf surmontée de longs bois de toute évidence authentiques.
Ce devait être encore une de ces photos ethnographiques montrant un membre d'une communauté aux traditions ancestrales débiles que certains intellectuels et sociologues tentent de nous faire passer pour le comble du raffinement. Moi, ça m'énerve.
D'un autre côté, Vanessa vous le dira, tout m'énerve. Certes, je ne suis pas d'une grande patience mais franchement, qu'est-ce qui peut bien amener quelqu'un à se vêtir de la sorte ? C'est ridicule, sans parler de l'aspect peu pratique du costume...
D'un autre côté, il s'agit peut-être là d'un parent tentant de divertir son enfant. Il est vrai que dans la toundra, on ne trouve pas facilement de théâtres, musées, ou cinémas. C'est donc avec beaucoup d'imagination que ce père ou cette mère tente d'égayer la vie de son enfant qui ne peut que s'ennuyer profondément dans ce milieu quasi désertique et intellectuellement aride. Je devrais donc trouver la scène attendrissante. Mais on ne voit pas d'enfant sur cette photo, juste ce déguisement criard. Tout me porte donc à croire qu'il s'agit d'une cérémonie rituelle. Moi, je n'aime pas les cérémonies et je hais les rites. Ça m'énerve. Et moi, quand je suis énervé, je n'arrive pas à écrire. Non, je ne peux rien écrire sur cette photo. Franchement, je sèche. Il me tarde d'entendre ce qu'ont produit les autres...
Pascal

Ce matin, je n'irai pas rejoindre Jean-Denis et Claire aux remontées mécaniques ; j'ai la cheville douloureuse suite à ma chute d'hier.
Je tire les rideaux de la chambre, le ciel est bleu sans nuage. Cela m'incite à sortir du chalet. J'enfile une cape que j'aime beaucoup : elle est en laine serrée de couleur noire avec des grosses broderies vertes et rouges, elle m'enveloppe jusqu'aux pieds d'une douce chaleur. Après avoir chaussé mes après-ski et mes raquettes, je prends la direction de la forêt. L'air est vif et me pique les yeux. Je poursuis ma route et m'enfonce sur un chemin enneigé.
Mes pensées défilent, je ne m'y attache pas, je me sens bien, seule ce matin. Aucun bruit en dehors de mes raquettes sur la neige ne vient perturber ma méditation. Autour de moi, le tapis blanc est vierge de toute empreinte. Je poursuis ma progression sur le sentier. Quelques oiseaux dans les arbres reprennent en chœur un chant mélodieux.
Brusquement, j'ai l'impression de ne plus être seule sur le chemin, un léger bruissement à quelques mètres devant moi se fait entendre. Les nombreux sapins couverts de neige ne me permettent pas de voir au loin. J'avance avec précaution pour réduire le son de mes pas. Des bruits de branches cassées me parviennent. C'est étrange, je ne me sens pas effrayé, seulement intriguée.
Au croisement de 2 sentiers, j'aperçois à quelques mètres devant moi, un petit groupe : trois biches et un cerf qui foule le sol de ses pieds, à la recherche de je ne sais quoi. Je ne bouge plus pour ne pas interrompre, par mon arrivée, cet émouvant tableau....
….De longues heures s'écoulent......
Le temps dans ce petit bois semblait s'être arrêté pendant de très longs instants.
Je ne sais plus quel chemin j'ai pris pour rejoindre mon chalet ; je me sentais légère comme une plume, l'esprit serein, la douleur à la cheville ? Envolée !
Gigi

Je ne sais plus si je me suis réveillé pour entendre le train ralentir puis s’arrêter ou si ce sont le ralentissement du train puis son arrêt qui m’ont réveillé. 

En me rappelant où j’étais j’ai tout d’abord cru que l’on était arrivé à destination. Mais c’était impossible. Nous étions partis depuis deux jours et il restait encore trois jours de voyage. Je regardai ma montre. Il était tôt, six heures.

Par la fenêtre je ne vis rien qui put me renseigner. Le jour se levait. Des champs à l’herbe jaune qui s’étendaient à perte de vue et des plaques de neige éparses. C’était le même paysage depuis vingt-quatre heures. Rien à l’horizon, définitivement rien.

Dans le compartiment tout le monde dormait encore. Je descendis de ma couchette, ouvris la porte et sortis dans le couloir. Il n’y avait personne. Les portes et les rideaux des autres compartiments étaient soigneusement fermés. Le responsable du wagon n’était pas à son, poste. De toute évidence il se passait quelque chose d’anormal.

Je sortis du train. Il faisait froid. Je n’avais pas pensé à mettre mon blouson. Je regardai en direction de chacune des extrémités mais ne vis rien. Apparemment j’étais seul. Je décidai d’avancer en direction de la motrice. C’était là-bas que tout devait se passer. Chacun des contrôleurs de wagon devait se trouver avec le conducteur, là-bas, tout au bout.

Je marchais, marchais, mais ce train n’en finissait pas. Soudain j’aperçus quelqu’un qui avançait dans ma direction. J’eus le sentiment d’être sauvé. J’allais enfin savoir ce qui était arrivé.

Je ne pouvais reconnaître de qui il s’agissait. Un contrôleur ? Un voyageur ? Le conducteur ? Il marchait d’un pas hésitant. Son corps ondulait et parfois se déplaçait brusquement vers la droite ou vers la gauche. Il était encore trop loin et je ne pouvais distinguer son visage. Mais il portait un manteau noir à tâches de couleurs rouge et vert. Il me semblait immense. Je ne cessais de le regarder. Je finis par lever le bras et l’agiter pour lui montrer que je savais qu’il était là. Il ne me répondit pas. Il continuait à avancer vers moi. Il m’avait vu, j’en étais certain. Je me mis à courir.

C’était une tête de cerf, au bois longs et fins sur un corps revêtu d’un drap noir. Les couleurs vives étaient des fleurs rouges et bleues et des feuilles vertes. Il portait de grosses chaussures de cuir noir. Interdit, je m’arrêtai brusquement.

La tête se pencha vers moi pour me saluer. Puis j’entendis cette voix grave qui raisonne encore en moi et qui me dit en russe : « Puis-je continuer le voyage avec vous ? » 
Sabine