Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°8


Proposition n°1 : Liste sous forme d'anaphore 

« Je me souviens… », avec des souvenirs personnels ou collectifs, comme dans le texte de Georges Perec.


Proposition n°2 : Récit du quotidien 

Raconter un trajet dans la ville, à pied, en bus ou en métro ; un de ces moments de transition qu'on vit habituellement sans y penser.


Proposition n°3 : Écrire à partir d'une photo

À partir d’une photo faite de photos d’identité reconstituées.

Quelques textes du 8e atelier


Anaphore en "Je me souviens"

Je me souviens de Marcel Proust et de sa madeleine mais, n'ayant pas de madeleine à grignoter, je ne me souviens pas des souvenirs qui lui sont revenus en mémoire.
Je me souviens des retours de chariot de mon enfance et de mon admiration pour les toutes nouvelles machines électriques. 
Je me souviens d'une chasse aux œufs en chocolat dans un jardin berrichon blanchi par le givre.
Je me souviens de la vieille télé en noir et blanc qui trônait dans notre salle de séjour et qui se déréglait constamment, transformant tous les personnages de mes séries préférées en nains obèses.
Je me souviens que la mémoire n'est pas fiable. 
Pascal 

Je me souviens du tableau noir et des craies qui crissent. 
Je me souviens de "1, rue Sésame" à la télévision. 
Je me souviens qu'au centre de loisirs on regardait toujours un film. 
Je me souviens du petit jouet en plastique dans les paquets de corn-flakes. 
Je me souviens des cartes Panini. 
Je me souviens des images dans les tablettes de chocolat Poulain. 
Je me souviens des robes en velour côtelé. 
Je me souviens des sous-pulls à col roulé. 
Je me souviens d'une poupée en tissu qui s'appelait Valentin, et d'une autre qui s'appelait Sophie. 
Je me souviens de l'ours Michka. 
Je me souviens de Calimero et de Candy. 
Je me souviens que le dessin animé "Jeanne et Serge" a bouleversé la cour de récréation. 
Je me souviens que j'ai pleuré en voyant "Le petit ballon rouge", et plus tard devant "E.T."
Vanessa 

Récit d'un trajet quotidien 

Je suis sur le point de refermer la porte de mon appartement quand je m'aperçois que je n'ai pas mes clés. Je retourne dans l'appartement que je parcours, énervé, en me disant que la journée commence mal. Après cinq minutes de recherches effrénées je me souviens que j'ai rangé mes clés dans la poche arrière de mon sac. Je ressors, ferme la porte à clé et appuie sur le bouton de l'ascenseur. Aucune envie de prendre l'escalier à colimaçon qui me donne la nausée. 
Évidemment, un voisin malveillant à attendu ce moment pour appeler lui aussi l'ascenseur. Ce doit être le voisin du premier. Il est crétin et en plus il sent mauvais. Non seulement je vais devoir attendre mais je devrai ensuite m'enfermer dans une cabine qui exhale des odeurs corporelles. Je pourrais bien sûr prendre l'escalier mais je ne vois pas pourquoi je me priverais de l'utilisation d'un équipement dont la mise en conformité m'a coûté une fortune. Je ronchonne et je maugrée. L'ascenseur arrive enfin. À ma grande surprise, il sent le parfum de la voisine du dessous. Pas trop désagréable. Je me calme et j'appuie sur le bouton du rez-de-chaussée. La porte est sur le point de se fermer quand elle se bloque et se rouvre à nouveau. Tu parles d'une mise en conformité ! Cet ascenseur fonctionne toujours aussi mal. La porte se referme et me voilà réparti pour ma destination. 
Troisième étage. L'ascenseur marque un arrêt. La porte s'ouvre pour laisser entrer le voisin taciturne qui vit juste au-dessous de chez moi. Je lui adresse un bonjour discret auquel il répond par un hochement de tête. Nous nous installons côté à côté et la porte se referme. N'ayant absolument rien à nous dire, nous contemplons tous deux l'affichage des étages. Deux, un, rez-de-chaussée. Je laisse mon voisin sortir. Je décide de le laisser passer devant et fais mine de chercher quelque chose dans mon sac pour lui laisser prendre de l'avance et éviter de marcher sur le trottoir à côté de lui sans parler. Je regarde à l'intérieur de mon sac et m'aperçois avec horreur que je n'ai pas pris mon téléphone. 
Je retourne vers l'ascenseur et appuie sur le bouton mais, bien sûr, une autre voisin malveillant s'est empressé de l'appeler avant moi et je dois, une fois de plus attendre. Aucune envie de prendre l'escalier. Je ne veux pas arriver au travail en transpiration. Je paie pour cet ascenseur et j'ai le droit de l'utiliser. D'autant que, résidant au dernier étage, je paie plus de charges pour cet ascenseur que les autres copropriétaires. Quand je pense que ces crétins du premier étage paient moins que moi alors qu'ils sont tout le temps à déménager meubles et plantes ! Mais je me calme. 
L'ascenseur arrive enfin et la porte s'ouvre. C'est justement le voisin du premier étage qui remonte chez lui avec un tas de fatras qui encombre la cabine. Aucune place pour moi. Ce débile m'adresse un sourire benêt et m'informe qu'il me renvoie l'ascenseur. J'attends. Il met un temps infini à retirer son fatras de la cabine. J'attends. L'exaspération monte. L'ascenseur redescend enfin. J'entre et j'appuie sur le bouton du quatrième. "Attendez, s'il vous plaît!" me crie la voisine du deuxième qui revient de promener son horripilant petit chien. J'attends. Elle en profite pour regarder dans la boîte aux lettres si elle a du courrier. Il est huit heures du matin et le courrier ne passe pas avant dix heures. Si elle le fait exprès pour m'agacer, c'est "mission accomplie". Elle finit par me rejoindre dans la cabine. Elle s'adresse à son chien pour lui intimer l'ordre de se calmer comme si cet animal répugnant pouvait comprendre le langage humain. Décidément je suis cerné par les abrutis. Elle me quitte au deuxième et je repars pour le quatrième étage que j'atteins sans autres ambages. 
J'ouvre la porte et je me précipite dans mon bureau où j'ai laissé mon portable. Machinalement je l'allume pour voir s'il est bien rechargé. L'heure et la date apparaissent. Je hurle! Mais quelle andouille je fais ! Nous sommes le 1er mai. Je ne travaille pas aujourd'hui. 
Pascal 

Un matin, place de la Nation, à l'heure de pointe. Devant la station de métro, un homme en k-way rouge distribue aux passants des "Direct Matin" ; à un mètre de lui, un homme en vert leur glisse des exemplaires de "Métro". Les gens descendent l'escalier, leur journal sous le bras. Avant de sortir leur passe Navigo, ils lèvent les yeux vers l'écran de la RATP qui annonce une panne sur le RER B. Ils s'en foutent, ils prennent la ligne 9. Après le portillon, on descend encore un escalier. 
On entend de loin le métro qui arrive à quai. Un homme se met à dévaler l'escalier. Les habitués ne se pressent pas ; ils savent que le quai est deux fois plus long que le train. Ils regardent l'homme pressé courir sur le quai, se jeter sur la dernière porte du métro, tenter de la rouvrir de force. Ils ont un sourire supérieur quand l'homme est forcé d'attendre avec eux le train suivant. 
Il y a du monde sur le quai, avec une forte concentration à chaque extrémité. Le wagon de tête et le wagon de queue seront bondés. Je me place au niveau de l'avant-dernier wagon. Par la vitre, je vois les passagers du train d'en face qui nous regardent monter. Puis c'est nous qui regardons leur train s'éloigner. Je m'assieds et j'ouvre mon "Direct Matin" à la dernière page. Je lis mon horoscope et celui de Jean-Pierre, pour voir s'ils correspondent. Ils ne correspondent pas : je ferai une rencontre aujourd'hui ; lui, de son côté, aura une opportunité professionnelle. Ma voisine lit un roman policier. 
Au métro Charonne, un homme au physique d'alcoolique entre dans la rame et demande de l'argent. Les regards se baissent. À Oberkampf, le métro ne repart plus. On nous annonce que quelqu'un marche sur la voie. Peut-être un de mes patients, en route pour l'hôpital par ses propres moyens. Si j'arrive enfin à Bonne-Nouvelle, je le retrouverai à l'hôpital Maison-Blanche. 
Vanessa 

À partir d'une photo 



Désir d'oubli
Je veux vous oublier 
Vous les fantômes de mon passé 
Vous, les amis fidèles qui m'avez trahi 
Amours passionnels qui vous êtes enfuis 
Parents aimés qui ne reviendrez plus 
Pays rêvés que je n'aurai jamais vus 
Copains d'enfance, frères d'aventure 
Espoir déçus de mon futur 
Que tous mes souvenirs s'effacent 
Dans ma mémoire aigrie et lasse 
Adieu douleurs, adieu tristesse 
Tous, par ce geste, je vous laisse 
Plus de retour sur mon passé, 
Toutes mes photos sont déchirées. 
                                                                             Pascal


Je me reconnais pas sur cette photo.
J'aime pas ma tête, je me reconnais trop. 
J'ai mal posé.
Le tabouret était trop bas, ou trop haut ;
j'étais trop près, ma tête est floue.
En noir et blanc j'ai l'air sévère ;
en couleur j'ai le teint rougeaud.
Je ne peux pas l'encadrer,  ma tête mal cadrée, 
coupée à mi-front, sectionnée du menton, 
bêtement penchée sur le côté,
ou disparue derrière ma main quand je me grattais le nez.
J'ai une sale tête sur cette photo, 
rimmel qui coule, rouge qui bave, 
cravate de travers, mèche mal peignée. 
Je ferme les yeux, 
je fronce le sourcils, 
mon sourire est crispé. 
J'ai voulu faire la working-girl, c'est raté. 
J'ai joué au businessman, planté. 
J'aime pas ma tête sur cette photo, 
je ne la mets pas sur mon CV. 
J'ai posé avec une copine, 
elle prend toute la place, 
j'ai perdu un tiers de mes cheveux et la moitié d'un oeil. 
J'ai posé avec mon copain pour un souvenir romantique, 
on dirait deux crétins. 
J'aime pas ma tête sur cette photo,
c'est pas moi ou c'est trop moi. 
J'en veux pas. 
Je la déchire. 
                                                                            Vanessa