Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°6


Proposition 1 : Le mot d’excuse 


Un parent écrit quelques lignes à l’enseignant après que son enfant a manqué un cours, triché à un contrôle, omis de rendre un devoir... 


Proposition 2 : Écrire avec 3 phrases imposées 


Phrase de début 
« Voilà ma chambre. Je tourne le bouton électrique. Une glace au mur, un grand miroir où l’on se voit tout entier ! » (Albert Londres, L’Homme qui s’évada

Phrase intermédiaire « Je suis réveillé par la poigne d’Andy Sigman qui me secoue vigoureusement. » (Boris Vian, Et on tuera tous les affreux

Phrase de fin « Alors je suis allé au plus dense de la foule, et je me suis laissé porter par le mouvement sans rien dire. » (J.M.G. Le Clézio, La Fièvre)


Proposition 3 : À partir d’un objet



Quelques textes du 6e atelier


Le mot d'excuse


Monsieur le Directeur,
Je vous prie de bien vouloir excuser, il est vrai pour la troisième fois cette semaine, mon fils Pierre-Etienne d’être arrivé en retard ce matin. Ce pauvre enfant a décidé d’expérimenter, au petit déjeuner, le degré d’adhérence de la glu sur du tissu et a collé ses quatre sœurs sur leur chaise de la cuisine. Malheureusement, n’y prenant pas garde, il s’est lui aussi collé sur sa chaise. Mon mari et moi-même avons dû consacrer un certain temps à décoller tous les enfants, ce qui explique le retard de mon petit Pierre-Etienne.
Cordialement,

Marie-Chantal de la Roseraie du Gâtinais (Hélène) 


***** 

Madame,
Mardi, mon épouse Gervaise ayant sa réunion des femmes battues, et moi devant me rendre à mon assemblée des alcooliques anonymes, notre petite fille Nana ne pourra se rendre à l’école, n’ayant personne pour l’accompagner.
Vous comprendrez bien que, très soucieux de son avenir, nous ne voudrions pas qu’elle fasse de mauvaises rencontres en chemin.
Bien à vous,
Coupeau (Pierre)

***** 

Madame,
Je vous prie de bien vouloir excuser mon fils Paco de vous avoir dit : « Madame, tu pues ».
Cependant, suite à notre entretien, je me permets de vous conseiller de changer de parfum ou, tout au moins, de l’utiliser avec parcimonie.
Bien sûr, ce n’est pas la fin du monde, mais je puis vous affirmer, qu’il n’est point besoin d’être doté de l’appendice de Cyrano pour défaillir devant la vague odorante de Shalimar dont vous vous aspergez.
J’ai appris récemment que quelques personnes souffrant du syndrome d’Asperger s’étaient rendues célèbres, mais, bien que mes connaissances en ce domaine soient extrêmement limitées, je puis vous affirmer que ce n’est pas grâce à l’invention d’un quelconque système d’arrosage, aussi sophistiqué soit-il.
Espérant que mon fils n’en restera pas traumatisé, je m’engage donc, à lui faire la leçon et vous encourage à un peu plus de modération pour le bien de la planète.
Cordialement,
Georges Rabane (Pierre) 

***** 

Monsieur, 
Vous avez mis un 0/20 à mon fils Luca au motif qu'il aurait triché, parce que sa copie "est en tout point conforme à celle de Xavier Pichon". Mais qui vous a dit que c'est Luca qui a copié sur Xavier, et non l'inverse ?
Georges Triton 

PS : Mon fils vient de me dire que Xavier aussi a eu zéro. Je trouve cela encore plus injuste ! Il y a un innocent parmi ces deux enfants, et vous le traitez en coupable. Quel exemple de la part d'un enseignant ! Je ne vous félicite pas.

PPS : Et s'ils étaient victimes tous les deux d'un troisième élève ? Vous y avez pensé à ça ? Je vous laisse mener l'enquête.
G.T. (Vanessa) 


Avec trois phrases imposées



Voilà ma chambre. Je tourne le bouton électrique. Une glace au mur, un grand miroir où l’on se voit tout entier ! Le jeune en costard s'y reflète en pied, de dos heureusement ; il s'est tourné vers moi pour me tendre la clé. Moi, bien sûr, je n'apparais pas dans le miroir. Je glisse une pièce dans la main du jeunot et je le pousse doucement vers la sortie. On a fait affaire, j'ai ma piaule, on va en rester là. Et me voilà seul dans cette pièce où tout est en double à cause de la glace : le lit, la table de chevet, la chaise. Tout est dédoublé, sauf moi. Moi, dans ce miroir, je n'existe pas. Ça fait sept-cents ans que je n'ai pas vu mon reflet. J'ai eu mon portrait, au seizième siècle, et plus tard quelques photos ; mais plus de reflet, jamais.
Bon, pas de temps à perdre à chouiner. J'ai faim, la nuit est belle, je pars en chasse. Un humain esseulé me servira de repas. Je le laisserai exsangue, et moi, revigoré d'un nouveau sang, je vivrai un jour de plus.
La nuit se passe, comme tant d'autres ; j'ai égorgé un promeneur derrière le cimetière, je suis allé passer le temps au cabaret ; et maintenant il est temps de me coucher avant le lever du soleil. Je saute par-dessus la grille du cimetière, et je choisis un caveau à mon goût que je referme soigneusement. Je suis réveillé par la poigne d’Andy Sigman qui me secoue vigoureusement. Je le repousse en marmonnant :
— Qu'est-ce que tu fous ici ? C'est pas possible, on n'est tranquille nulle part.
— Ce que tu parles mal pour un Moyenâgeux... Tu regardes trop la télé dans tes hôtels pourris.
Un Amerloque à peine centenaire qui me fait la leçon, vaut mieux entendre ça que d'être sourd. Andy est complètement con, c'est sans doute pour ça qu'il a été nommé gouverneur des vampires occidentaux. Et depuis il me poursuit avec ses règlements idiots.
— Qu'est-ce que j'ai encore fait ? J'ai mal trié mes déchets ? J'ai laissé un cadavre avec les bouteilles en verre ?
— Ce n'est pas ce que tu as fait, mais ce que tu n'as pas fait, répond Andy d'un ton docte (aucun humour, ce blaireau). Tu as tué un des nôtres, tu nous doit un vampire en remplacement. Va te promener, choisis quelqu'un et transforme-le.
J'ai vu que je n'y couperais pas. Depuis le temps qu'il me cassait les noisettes avec cette histoire. C'était un soir de fête, tout le monde était dans la rue. Alors je suis allé au plus dense de la foule, et je me suis laissé porter par le mouvement sans rien dire.
Vanessa 

*****

Voilà ma chambre. Je tourne le bouton électrique. Une glace au mur, un grand miroir où l’on se voit tout entier ! Pourtant, à bien y regarder, l’image que me renvoie ce miroir n’est pas si nette que cela. Je décide donc de m’approcher mais, plus mes pas me portent vers mon double réfléchi, plus l’image s’estompe, s’efface, jusqu’à disparaître complètement.
Je reste ainsi planté là, à quelques centimètres de la glace qui ne reflète plus rien si ce n’est le décor de ma chambre. Les yeux écarquillés, les bras ballants, je tente de puiser au fin fond de mon cerveau une explication rationnelle au phénomène que je suis en train de vivre. Je connais bien le mythe du vampire, dont l’image ne se reflète pas dans les miroirs. Mais mon esprit chasse instantanément cette hypothèse. Je m’appelle Joseph, j’ai 45 ans et non deux siècles, je vis le jour et dors la nuit et je préfère cent fois boire un verre de vin qu’un verre de sang. Alors, que m’arrive-t-il ? Serais-je mort sans m’en être aperçu ? Je me pince la main, je ressens une douleur vive, je suis rassuré. Enfin, pas encore tout à fait. Je décide de m’éloigner à reculons de cet objet du diable. Plus mes pas me conduisent vers l’entrée de la chambre, plus mon reflet réapparaît. L’angoisse me saisit d’un seul coup. Je suis perdu, je ne comprends pas. Je sens un frisson glacé remonter le long de mon échine. Et pourtant, c’est bien de la sueur qui perle sur mon front.
Je suis réveillé par la poigne d’Andy Sigman qui me secoue vigoureusement.
— Joseph ! Joseph ! Réveille-toi ! crie-t-il de façon fort indélicate au creux de mon oreille. Le patron nous attend », m’indique-t-il sur un ton qui n’encourage pas à la flânerie.
Je comprends qu’une nouvelle mission nous attend, et que nous n’avons pas intérêt à faire attendre le boss. « Boss », c’est ainsi qu’il souhaite qu’on l’appelle. Certainement pour faire oublier qu’il se prénomme en réalité Alcramento Satirio Espadola… Cependant, quand il nous reçoit avec son colt 45 posé sur son bureau, personne n’a envie de lui rappeler le petit nom par lequel sa maman l’appelait quand il était en culotte courte. Alors, qu’est-ce qui nous attend cette fois ? Abattre froidement une grand-mère afin que les enfants touchent l’héritage ? Ou enlever un gosse afin d’« inviter » son père à ne pas se présenter aux prochaines élections ?
J’en étais là de mes réflexions quand je me suis levé péniblement du canapé de notre piaule. Je me suis rapidement peigné les cheveux, j’ai enfilé ma veste, j’ai claqué la porte de l’appartement et suis sorti dans la rue. Alors je suis allé au plus dense de la foule, et je me suis laissé porter par le mouvement sans rien dire.

Hélène


*****


Voilà ma chambre. Je tourne le bouton électrique. Une glace au mur, un grand miroir où l’on se voit tout entier !
Aïe ! Arcade ouverte, une dent cassée, toutes mes fringues en charpie, je ne suis vraiment pas beau à voir. Redoutable le Andy ! Pourtant la soirée avait bien commencé.
Jacques, François, Charlotte, Véronique, chacun accompagné de son conjoint et donc, Suzanne avec Andy Sigman.
Alors apéro, apéro bis, un p’tit troisième pour la route, un peu de blanc en entrée et du bourgogne pour la viande. Je sais, ça n’est pas très raisonnable, je ne devrais pas, mais voilà…
Oh, ce n’est pas que j’ai le vin vraiment méchant, un peu chiant peut-être. Non, en fait, on peut le dire, carrément chiant !!! Désinhibé, j’envoie quelques boutades à la volée et dans l’élan je balance des horreurs sur et à tout le monde, comme ça, pour le fun. Vous savez, un peu comme les chroniqueurs de Ruquier, qui disent des saloperies pour dire des saloperies, pour faire le buzz.
Bref, très imbibé, il me semble me souvenir que j’ai interpellé Suzanne pour lui demander ce qu’elle pouvait bien trouver à son primate de mec, avant de m’assoupir quelque peu.
Et puis, plus rien, le trou noir.
Je suis réveillé par la poigne d’Andy Sigman qui me secoue vigoureusement alors que sa compagne tente de le retenir. Pensant être protégé par Suzanne, je lui en remets une couche au néandertal, je le traite d’homme des cavernes, de tous les noms d’oiseaux qui me viennent à l’esprit et qui finissent par le faire sortir de sa hutte.
Alors là, je n’ai rien compris ! Non, vraiment, rien compris ! Je vois, chez Ruquier, les gens se tiennent, ils ont des réparties, et même, aussi étonnant que cela soit, on n'a jamais vu les invités en venir aux mains dans ses émissions. C’est que c’est un sanguin le Andy ! Et bing, et bang, il a des poings comme le gourdin de Cro-Magnon cet idiot, il transforme mon œil en peinture rupestre et me jette à terre en me jurant de me renvoyer à l’époque où même la pierre était polie…
À moitié groggy, j’ouvre mon œil valide et j’aperçois, penchée sur moi, une Suzanne goguenarde qui m’explique que son Andy est du sud-ouest, qu’il est rugbyman, qu’il n’a rien à faire des intellos de bazar et qu’il règle toujours ses problèmes sur l’heure. Et puis, au bord du fou rire, elle me conseille gentiment d’arrêter de boire et d’aller me cacher au milieu de la foule de tous ceux que je prends pour des crétins.
Alors je suis allé au plus dense de la foule, et je me suis laissé porter par le mouvement sans rien dire.
Pierre



À partir d'un objet



Posé au milieu de l’atelier, le chevalet était comme un défi. Blanc, vide, sans idées, tout comme Mathias qui devait pourtant fournir à son galeriste plus de vingt toiles pour la fin du mois. Assis face à la toile, il cherchait l’inspiration en vain. Lassé, il regarda par vers les grandes vitres de l’atelier les toits de Paris. De petites lumières s’allumaient au fur et à mesure que la nuit tombait. Il y voyait d’autres personnes accomplir quelques tâches domestiques. Ne serait-ce pas finalement plus simple, plus reposant qu’une vie d’ « Artiste » ? Voilà. Une vie tracée, une femme, des enfants, un petit boulot, pas de questions, pas d’angoisse de la toile blanche.

Petit à petit au cours des semaines précédentes, il s’était laissé aller à observer la vie des autres. C’était devenu comme une drogue, au point parfois d’aller chercher les jumelles censées servir à observer les oiseaux. Plonger dans ces foyers c’était finalement comme un livre ouvert, une histoire à déchiffrer. Au fil des jours il avait assisté à certains évènements : des arrivées des départs, des fêtes, des anniversaires. Une petite vieille qui ouvrait et fermait ses volets à heure fixe avait disparu. D’autres l’avait remplacée. Il avait beau ressentir un malaise vis-à-vis de ce voyeurisme il ne pouvait que sans cesse y revenir. Parfois se sentant coupable d’avoir dépassé une limite il changeait de fenêtre. Mais toujours il revenait à ses observations quotidiennes dès que la nuit tombait et que les lumières s’allumaient

....

Face à lui, le chevalet, blanc, vide, sans idées.
Véronique 


*****

Propos Cavaliers

Comme j’aurais aimé courir le tiercé à Vincennes, à Auteuil, à Deauville, et franchir la ligne d’arrivée sous les hourras des parieurs.
Comme j’aurais aimé être un de ces étalons du Cadre Noir de Saumur, et exécuter de magnifiques figures, sous les ordres d’un brillant officier de cavalerie.
Comme j’aurais aimé m’exhiber dans de grandioses et gracieux numéros imaginés par le génial Zingaro.
Comme j’aurais aimé être un Jolly Jumper, savoir jouer aux échecs et me mesurer à mon cow-boy favori.
Comme j’aurais aimé avoir une belle robe noire, surgir de la nuit et porter un nom d’aspirateur.
Mais je ne suis rien qu’une vieille ganache aigrie, un vulgaire canasson, un véritable bourrin.
Je ne peux vraiment pas me voir en peinture.
Je suis un cheval-laid.
Pierre 

*****

Et voilà, j’ai encore droit à une farce ridicule de mes imbéciles de collègues. Cette fois, c’est un chevalet et une toile miniatures qui m’attendent sur mon bureau. Il ne faudra pas attendre deux minutes pour que le son accompagne l’image.
Gagné. Gérard, de la comptabilité, passe sa tête rougeaude par la porte de mon bureau et me lance : — Eh ben cette fois, c’est bon, tu as du matériel à ta taille ! Plus besoin d’échafaudage pour la peindre ta Joconde !
Et il s’éloigne en s’esclaffant et en distillant dans le couloir ses habituels effluves avinés. Moi et ma fichue manie de raconter mes loisirs… Oui, j’aime peindre. Et oui, bien souvent, les chevalets qu’on me prête – mon studio est bien trop petit pour me permettre d’en acquérir un – sont souvent un peu trop grands. Il faut dire que je mesure 1,47m et que la vie devient vite un calvaire pour un homme de cette taille. Mais je suis d’un naturel optimiste, je me suis adapté et n’accorde pas plus d’importance que cela à ma petite taille. Mes collègues si. Tous les jours, ils s’organisent minutieusement pour me tourner en ridicule. Bloquer la porte des toilettes afin que seules les toilettes pour personnes handicapées soient disponibles. Or, chacun sait que la cuvette des toilettes est plus haute dans ces toilettes-ci… Remonter l’assise de ma chaise, déplacer mes dossiers sur une étagère supérieure, ou encore ne laisser de disponibles que les patères du porte-manteau les plus élevées.

Tous les jours, les mauvaises plaisanteries se répètent. Tous les jours, je me tais.
Jusqu’à quand ?

Hélène


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Le métier de critique n'est pas une sinécure. On court de galerie en musée, on compulse des kilos de catalogues, on reçoit des lettres d'insultes ou de supplications, on est invité dans des mairies lointaines où la belle-soeur de l'édile expose son macramé. Parfois c'est la fête, on a un vernissage au Quai Branly ou à Orsay, on voit des chefs-d'oeuvres et des femmes avec des décolletés dans le dos. Mais pour une belle expo, combien d'affichages hasardeux, combien de croûtes mal éclairées qui vous piquent les yeux et sur lesquelles, pourtant il faut écrire quelque chose ? Non, vraiment, critiquer les autres n'est pas si facile qu'on le croit.
Mais le pire est toujours possible. Un jour, vous vous retrouvez au Musée des Tableaux Miniatures de Champigny-le-Joyeux, à loucher devant des toiles de deux centimètres sur trois, en vous demandant ce qui a bien pu passer par la tête du conservateur - sans parler de celle du peintre. L'ensemble de l'exposition, décroché, tiendrait dans un sac à mains. Je suis presbyte, je ne vois que des taches de couleur sur ces rectangles ridicules. Que faire ? Il n'y a qu'une solution. Je sors un post-it, je griffonne quelques pattes de mouche, et j'envoie ce mini-texte au journal. Ça leur apprendra à me faire critiquer des micro-tableaux.
Vanessa