Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°6


Proposition n°1 : Baobab 


Écrire un texte saturé en syllabes "si" et "non".


Proposition n°2 : Écrire à partir de 3 phrases


Première phrase :
« Maître Saval, notaire à Vernon, aimait passionnément la musique. »
(Guy de Maupassant, « Une soirée »)
Phrase intermédiaire :
« Cinq jours encore jusqu’à jeudi et je serai au pied du mur. »
(Pierre Lemaître, Cadres noirs)
Dernière phrase :
« Il en cracha de dégoût et entra dans un bistro pour boire le premier café de la liberté. »
(Robert Desnos, Le Vin est tiré)


Proposition n°3 : Description


Évoquer un lieu inquiétant.

Quelques textes du 6e lundi


Baobab en "si" et "non"


Les sirops cachetés à la cire ne sont plus si nombreux. Certains soignent les cils, d’autres les nombrils. Les joueurs de tympanon peinent à trouver l’onguent qui soigne leurs doigts rassis, et sont hélas souvent condamnés au silence. Pour compenser, ils brûlent un cierge, dont la fumée monte au ciel.

Eric

À partir de 3 phrases imposées


Maitre Saval, notaire à Vernon, aimait passionnément la musique. Du matin au soir, que son cabinet soit plein ou pas, une musique étrange accompagnait sa journée. Bien sûr, le bouton de l’ampli était au minimum mais, out de même, la musique était parfaitement audible.
Ce que ses clients, en revanche ne savaient pas, c’était que cette musique ne venait pas de nulle part. En effet, Maitre Saval depuis longtemps avait voulu devenir compositeur. Malheureusement il ne put jamais acquérir la formation pour ce faire, car son père, notaire, avait prévu que son fils prendrait sa suite lorsque l’heure de la retraite aurait sonné.
Il se soumit à son père mais, dans le plus grand secret il composait une musique que son instinct et sa sensibilité lui dictaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Ne connaissant pas la technique musicale, il composait à l’oreille sur une vieille guitare et s’enregistrait pour conserver ses créations.
Cela provoquait en lui un dilemme: vais-je continuer à exercer mon métier ennuyeux et frustrant jusqu’à la mort, ou vais-je enfin décider de faire ce qui me plait quelles qu’en puissent être les conséquences ?
Au fil des années il hésitait mais un jour, c’était un samedi, il décida que le jeudi suivant, il prendrait sa décision définitive. Cinq jours encore jusqu’à jeudi et je serai au pied du mur se dit-il.
Il continua donc à traiter ses dossiers, à recevoir ses clients venant de nombreux horizons et vit les jours passer de plus en plus vite. Le fameux jeudi arriva donc. Il reçut ses clients comme d’habitude et la journée passa.
Le soir, invité par des amis pour fêter un anniversaire, il se rendit dans le restaurant prévu et partagea avec ses amis plusieurs bouteilles de champagne. A minuit, complètement ivre, il prit brusquement conscience qu’il allait devoir prendre sa décision à présent. Procrastinateur invétéré, il dépassa l’heure fatidique, avala encore quelques verres et à une heure du matin, il se rendit compte qu’il n’avait toujours rien décidé.
Se faisant violence, il décida, sans prendre en compte l’aspect pécuniaire de sa décision, d’abandonner son métier de notaire et donc de se diriger vers le métier aléatoire et incertain de musicien amateur et incompétent.
Bien qu’il eût conscience du danger de cette décision, il refusa de remettre en cause cette décision.
Il en parla à son épouse qui lui dit alors : mais de quoi allons nous vivre avec nos rois enfants si tu abandonnes ton boulot qui nous permet, tu l’admettras, de vivre à un bon niveau. Il lui répondit : C’est MA décision.
Elle le quitta quelques jours plus tard avec armes et bagages.
Se retrouvant seul il en cracha de dégoût et entra dans un bistrot pour boire le premier café de la liberté.

Patrice

*****

La cantatrice hongroise

Maître Saval, notaire à Vernon, aimait passionnément la musique. En grand secret, il s’entraînait sur toutes sortes d’instruments, dans une cabane reculée, au fond d’un bois qui ne l’était pas moins. Sa collection comportait des instruments exotiques, parmi lesquels un violon chinois à une corde, un banjo brésilien, et un tympanon. Il s’y rendait, vêtu en chasseur pour ne pas attirer l’attention : un notaire artiste, ça ne fait pas sérieux, et il tenait à conserver sa clientèle.
Un jour, alors qu’il s’approchait de la cabane, il entendit un son à la fois métallique, gracieux et étrange : quelqu’un jouait du tympanon, et mille fois mieux que lui. Derrière la porte, à la serrure fracturée, était assise une femme qu’il reconnut aussitôt : c’était la cantatrice hongroise, vedette de l’opéra qu’il avait vu la veille.
La femme, blême et tremblante, lui raconta son histoire, dans un français incertain. Le ténor la battait et l’exploitait, avec la complicité tacite de la compagnie, si bien qu’elle s’était enfuie sur un coup de tête, sans rien emporter, pas même ses papiers. Au terme de son errance, elle était tombée sur cette baraque dédiée à la musique, et la présence du tympanon, qu’elle avait pratiquée toute sa jeunesse, lui avait donné envie d’en jouer à nouveau, pour oublier sa situation.
Le notaire la réconforta, lui donna ses provisions, et lui conseilla de rester cachée là en attendant la suite des événements : dans un coffre, elle trouverait des couvertures, des coussins, une lampe qu’il utilisait lui-même quand il dormait sur place. Rentré chez lui, il se renseigna sur la compagnie. Celle-ci était encore présente jusqu’à la fin de la semaine, ce qui laissait le temps de vérifier les dires de la chanteuse, avant de décider quoi faire. « Cinq jour encore, et je serai le pied au mur », se dit-il.
Alors qu’il retournait, vêtu en chasseur, apporter de la nourriture à la cantatrice, il entendit d’autres sons, beaucoup moins mélodieux que la veille, s’échapper de la cabane : on criait et on cognait. Il entra, le canon de son fusil pointé, et vit alors le ténor qui frappait la femme en proférant des insultes. L’homme ivre se jeta sur le notaire, qui tira. On appela le médecin pour soigner le blessé, la police, et le secret de Maître Saval fut éventé.
Il récolta en compensation une réputation d’homme courageux, et de sauveur de dame en détresse, ce qui produit toujours son effet dans les villes de province. La cantatrice reconnaissante ne demandait, semblait-il, qu’à lui transmettre son savoir en matière de tympanon, et plus si affinité ; mais sa carrière décollait, elle avait des contrats à honorer, et elle croiserait immanquablement d’autres admirateurs plus reluisants que lui. La reverrait-il un jour ? Qu’importe ! Il lui restait l’essentiel : sa passion. Il pratiquerait désormais la musique en plein jour. Et au diable l’opinion publique ! Il en cracha de dégoût, et alla dans un bistrot boire le premier verre de la liberté.

Eric


Décrire un lieu inquiétant


Cela faisait déjà longtemps que Jeannot, Jojo et Alfred, âgés de dix ans, étaient attirés par cette vieille maison abandonnée aux abords du Vieux Port. 
Plusieurs fois déjà, ensemble, ils s’étaient approchés de l’endroit, méfiants et craintifs. Les abords en étaient parsemés de petits rochers recouverts de mousse. L’eau de mer les recouvrait à moitié.
L’étrangeté du lieu était accentuée par les fenêtres de la maison dont les vitres étaient brisées. D’ailleurs, quand ils s’en approchaient, les trois garçons ramassaient des cailloux et les lançaient avec force sur les vitres restantes. Cet exercice les amusait beaucoup, car, étant tous très adroits au lancer de pierres, ils faisaient souvent mouche et se félicitaient mutuellement lorsque l’un d’entre eux atteignait sa cible. 
Quand les vitres restantes n’étaient pas touchées par les projectiles, ils entendaient de loin les bruits que faisaient leurs cailloux à l’intérieur de la maison abandonnée. Cela éveillait leur curiosité et aussi une certaine crainte, car ils n’avaient jusque-là jamais osé pénétré à l’intérieur de la bâtisse. 
Dans leur for intérieur, ils se posaient différentes questions : Qu’y-a-t-il à l’intérieur ? Quelqu’un y vit-il ? Si oui, pourquoi n’a-t-il jamais réagi ? Peut-être s’agit-il d’un individu dangereux ? Un prisonnier évadé ? Un alcoolique sans domicile complètement bourré ? Un pédophile recherché par la police ? 
Toutes ces supputations rendaient l’approche de cet endroit toujours plus bizarre, toujours plus inquiétante. Pourtant cela n’empêchait nullement les trois garnements d’y revenir régulièrement pour côtoyer le danger ou tout au moins l’inconnu. 
Un jour, Alfred imagina d’y aller tout seul et de franchir le seuil de la maison. Pourquoi il n’en parla pas à ses compères, nul ne le sait. 
Et ce jour arriva… Un matin, il alla donc vers le vieux port, se dirigea, non sans hésitation, vers la porte d’entrée, se munit d’une grosse pierre pour se protéger contre tout danger potentiel, poussa la porte en bois vermoulu et découvrit une pièce obscure envahie de plantes grimpantes, d’éclats de verre, d’objets hétéroclites comme des boites de conserve ouvertes, des chaises brisées… 
Subitement il entendit un bruit inquiétant et vit un animal qui détala entre ses pieds. Saisi d’effroi, il crut voir un chat qui se sauvait mais comprit en fait que c’était un gros rat. 
Il revint rapidement vers l’extérieur, se disant qu’il aurait sûrement d’autres surprises désagréables.
Décidément, cet endroit était vraiment inquiétant.
Il y revint avec ses potes mais ne leur avoua jamais qu’il avait déjà franchi la porte d’entrée. Ce fut son secret. 

Patrice