Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°8


Proposition n°1 : Centon


Le centon est une forme poétique consistant à prélever des vers dans divers poèmes et les mixer pour constituer un nouvel ensemble.

Des recueils de poèmes sont à disposition sur la table. Chaque participant constitue un nouveau poème d’une dizaine de vers, à partir de plusieurs poèmes d'auteurs différents.

Proposition n°2 : Portrait chinois


Les quatre éléments :
- Si j’étais l’eau…
- Si j’étais l’air…
- Si j’étais le feu…
- Si j’étais la terre…

Proposition n°3 : À partir d’œuvres d’art

Atelier n°7


Proposition n°1 : Inventaire


« Choses qui font peur »

Proposition n°2 : Quatrième de couverture d’un livre fictif


Chacun invente un livre et rédige sa 4e de couverture, comprenant un titre, un éditeur, une présentation du contenu, de l'auteur, éventuellement une citation critique...

Proposition n°3 : À partir de 3 phrases imposées


Phrase de début:
« L’été fut troublé par un événement inattendu. » (Romain Gary, La Promesse de l’aube)
Phrase intermédiaire:
« C’était la fin de l’après-midi, et Beaumanoir ne contenait plus une goutte de vin. » (Gu Long, Les Quatre brigands du Huabei)
Phrase de fin:
« Elle se leva, passa la porte médiévale et s’éloigna pour grimper dans la montagne. » (Clara Dupont-Monod, S’adapter)

Quelques textes du 7e lundi


Inventaire : choses qui font peur


- Les serials killers
- Les kilos
- Les pas derrière moi
- Les bruits de rue que je n’identifie pas
- Les rires très aigus
- Rater mon train
- Ne pas retrouver mon chemin 
- Les Vosges, de manière générales les forêts par mauvais temps
- Les insectes

Nicole H.

Quatrième de couverture d'un livre fictif


Le cri de la chouette, de Luc de la Bonnière – Éditions Coeur menthe à l'eau

Le dernier opus de Luc de la Bonnière nous emmène dans la vie nocturne et champêtre des monts d'Arrée. L'on y retrouve la fée Morgane et ses pouvoirs magiques, teintés ici d'un érotisme délicat. Le lecteur est invité à découvrir les péripéties multiples et parfois cocasses que déclenche l'espièglerie de Morgane.
Car la fée n'est pas exactement celle de la légende mais plutôt une aventurière moderne qui n'hésite pas à enfourcher sa grosse cylindrée pour parcourir la lande bretonne.
Cette lande réserve elle aussi des surprises, abritant des lieux de perdition pour marins au rencard. Si ceux-ci célèbrent leurs aventures passées avec force rasades de chouchen, Morgane se mue à leur égard en gardienne de leur humanité. Car au fond, les durs à cuire de la mer restent souvent des enfants qu'il faut consoler... parfois avec une application qui n'a plus rien de maternelle.
Le lecteur trouve ici matière à rire mais aussi à réflexion sur la destinée de l'Homme qui ne décevra pas les lecteurs des précédents ouvrages souvent plus légers de l'auteur.

Luc de la Bonnière a récemment reçu le prix Gala 2022 pour son roman Les sucettes à l'anis.

Jacques-André
 
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« L’âme de fond » et autres nouvelles
Albert Desfontaines
Ed. La Belle Etoile – 2020

Eléone s’est réveillée la tête lourde d’une question essentielle : Qui est-elle ? Bien d’autres s’en suivront…

Par le biais du questionnement, Albert Desfontaines nous entraîne de façon très subtile dans une vertigineuse introspection.
« L’âme de fond » est la première nouvelle de ce recueil qui en compte sept. Énigmatiques, drôles ou terrifiantes, chacune d’elles confirme l’art de l’auteur en la matière.

ÉcrIvain, poète, dramaturge, Albert Desfontaines ne cesse de se renouveler.

Nicole H.
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Le souriceau dans le bac à douche
Contes et légende du 12e arrondissement de Paris
par Ornella Dumoutier et. al.
Éditions "Les mystères du quotidien", 2024.

Cet ouvrage érudit, au style enchanteur, recense les légendes qui circulent dans le 12e arrondissement depuis des siècles. Les auteurs ont rencontré de nombreux conteurs et conteuses, dont la célèbre chamane Fleur de Ficus, âgée de cent-un ans, pour collecter leurs récits.
Parmi les plus célèbres, on retrouve bien sûr l’espiègle souriceau du bac à douche, mais aussi le fantôme des canalisations, la fée cannibale du Bois de Vincennes, ou encore le Prince des Puces de Picpus. Chaque conte est précédé d’un court rappel historique et géographique. Et c’est tout le 12e arrondissement qui déploie devant nous son mystère, sa magie blanche et noire, ses contes transmis de générations en génération, pour le plus grand plaisir du lecteur.
« Ces contes et légendes du 12e nous ont transportés » (Magazine bi-annuel du métro Avron).

L’équipe de la professeure Dumoutier, de l’université Paris 12bis, est très réputée dans le domaine du conte ultra-local. Son ouvrage précédent, Sorcellerie sans complexe dans le 11e arrondissement de Paris, a été adapté sur scène avec succès, au Théâtre 11 bien entendu.

Vanessa


À partir de trois phrases imposées


« L’été fut troublé par un événement inattendu ». La campagne était resplendissante telle une belle femme blonde. Les paysans, en sueur sous leur feutre couleur terre, s’acharnaient à recueillir l’or des semailles, à édifier d’imposantes meules aussi parfaites que des mottes de beurre.
Soudain, un cri phénoménal, monstrueux comme celui d’une bête, déchira l’air tremblant. Il se prolongea longtemps, se répéta. Les regards des hommes, tétanisés dans leur geste, avaient lentement convergé vers le château et s’étaient élevés jusqu’au donjon. Car de là, venait la plainte inhumaine.
Le silence s’installa et les hommes, toujours dans la surprise de ce qu’ils venaient d’entendre, reprirent leur tâche. L’air de nouveau fut troublé, par des gémissements cette fois, s’y mêlaient de faibles cris.
Dame Fénégonde venait avec douleur de donner la vie à celui qu’on nommerait sans tarder Galéon.
La grossesse, fruit d’un adultère, avait été tenue secrète et la Dame mise au plus sûr de la forteresse. On sut plus tard que l’époux légitime, maître des lieux, fut saisi, à la vue de ce petit mâle rouge et grimaçant, d’un bonheur irrépressible dans lequel la fierté n’était pas étrangère. 
Le mari, dès qu’il prit conscience de l’arrondi du ventre de sa belle, avait pris soin de questionner icelle avec fureur, car impuissant il ne pouvait, hélas, prétendre à la procréation.
L’auteur des faits, à la faveur de quelques indiscrétions royalement récompensées, fut promptement dénoncé, mis au cachot et le temps pour lui d’avouer, écartelé sans autre informé.
Fénéconde pardonnée, fut descendue de sa geôle et retrouva le moelleux de la couche conjugale, Galéon à son sein.
Le suzerain convia à un généreux banquet qui débuta bien avant le soir, tout ce que son fief comptait de manants. On but plus que de raison et bientôt il fallut renouveler les breuvages. Hélas les barriques avaient écoulé tout leur sang. « C’était la fin de l’après-midi et Beaumanoir ne contenait plus une goutte de vin. » On envoya alors deux ou trois sires point trop vacillants et pourvus d’écus, menant deux mules chacun en quérir au domaine voisin. Ils s’en revinrent chantant à tue-tête, traînant derrière eux les pauvres bêtes harassées sous la charge. On put reprendre les ripailles qui durèrent jusqu’à l’aurore du jour suivant.
Fénégonde ayant retrouvé toutes grâces voulut en remercier le ciel. « Elle se leva, passa la porte médiévale et s’éloigna pour grimper dans la montagne. » 

Nicole H.


*****


L’été fut troublé par un événement inattendu. Un samedi matin, notre paisible village de Saint Bignoul du Gard vit débouler sur la grand-place un car de tourisme d’où descendirent une vingtaine de grands gaillards en short, chaussettes dans les claquettes et bob sur la tête. Celui qui semblait être leur chef (car il avait un plus gros sac à dos et un bob de couleur rouge) regarda autour de lui, repéra immédiatement Beaumanoir, notre café-restaurant principal, et y entraîna sa troupe.
— Et qu’est-ce qu’on boit dans ce charmant estaminet? demanda le chef avec bonhommie.
Lucette, la patronne, ne se laissa pas impressionner.
— On boit ce qu’on vous sert.
Et elle leur monta de la cave cinq bouteilles de rouge local.
Égayés par l’alcool, les hommes lui racontèrent qu’is visitaient les plus beaux villages de France entre hommes, pour se changer les idées. Saint Bignoul du Gard est très joli en effet, avec ses vestiges du Moyen Âge et les chemins de randonnées qui l’entourent. Mais le groupe ne paraissait pas pressé de le visiter. Sans rien dire, Lucette apporta deux caisses de vin rouge, une eau-de-vie qu’elle avait concoctée dans sa baignoire, ainsi que des planches de charcuterie et de fromage.
Le temps passait. C’était la fin de l'après-midi, et Beaumanoir ne contenait plus une goutte de vin. Le chef proposa alors à ses hommes de prendre quelques photos pour montrer à leurs femmes qu’ils avaient bien visité Saint Bignoul. Tous se levèrent pesamment. Il leur fallut un bon quart d’heure pour réunir leurs affaires, remercier la patronne et sortir sur la place, où ils prirent une photo de groupe sous de clocher.
Lucette ramassa les verres et les bouteilles vides. Elle avait fait une bonne journée, mais le tintamarre des voix masculines éméchées l’avaient fatiguée. Elle avait besoin de respirer. Elle se leva, passa la porte médiévale et s’éloigna pour grimper dans la montagne. 

Vanessa

Atelier n°6


Proposition n°1 : Définitions de mots inconnus


Mots présents dans le dictionnaire Littré, mais inusités aujourd’hui.
Inventer une définition selon la sonorité, l’impression… 3 mots au choix parmi 6 proposés :
mipoux ; teucriette ; alios ; mulcter ; rupicole ; quintoyer.

Proposition n°2 : Le lieu du mystère


À partir d’une photo de maison ou de paysage. Ce lieu a un secret. Écrire un texte pour l’évoquer ou le révéler.

Proposition n°3 : Une phrase à partir d'un mot


Mot pioché au hasard d'un livre: le tablier.

Quelques textes du 6e lundi


Définition de mots inconnus


Mipoux
Nom masculin, idem au pluriel. Se dit d’un pou qui a perdu une partie de son anatomie, le plus souvent la tête – (ce qui est un comble pour une bestiole qui élit domicile sur les nôtres).
Teucriette
Nom féminin, pluriel des teucriettes. Petit instrument de cuisine en métal utilisé par les pâtissiers pour découper ou décorer la pâte.
Mulcter
Verbe du premier groupe. Effectuer un mouvement rapide des lèvres, s’apparentant à un tic ou encore se mordre nerveusement l’intérieur des joues.
Rupicole
Adjectif, pluriel rupicoles. Qualifie les insectes recueillant le nectar des fleurs.
Quintoyer
Verbe du premier groupe. Tousser de façon saccadée par quinte.
Nicole H.


Mipoux 
Quelqu’un qui m’est complètement pourri et me maltraite moi, uniquement.
Teucriette
Je te crie « etté » c'est-à-dire que je t’engueule entre juin et septembre.
Alios
Alios Aligos : façon de quitter définitivement des personnes qui furent mes amis.
Mulcter
Transférer quelqu’un dans une autre boicte.
Rupicole Une personne qui boit plein d’alcool en dehors de chez lui mais uniquement à l’extérieur, pas chez des amis ou dans un troquet.
Quintoyer
Dire tu à 5 personnes en même temps.
Patrice

Mipoux
N.M. Moitié de pou, forme altérée du mot demi-punaise. Insulte. Synonymes: demi-portion, personne minable.
Teucriette
N.F. Familier. forme affectueuse du mot sucrier. "Passez-moi la teucriette, dit le baron" (Balzac, Le Père Goriot).
Alios
N/M. Étymologie: halios, soleil ; et ali, ami. Ami de coeur, âme soeur.
Mulcter
Verbe intransitif. Se transformer, changer de nature. "Tel Jésus, le serveur mulcta l'eau en vin" (Aragon, Aurélien).
Rupicole
Adj. De couleur rouge vif, voire bordeau. Un teint rupicole de bon vivant.
Quintoyer
Verbe intransitif. 1: Faire la fête. 2: trinquer. On a quintoyé toute la nuit.
Vanessa


Le lieu du mystère





Nous sommes tous réunis ? Très bien. Voilà, nous sommes arrivés à la fameuse demeure, Mesdames et Messieurs. Cette bâtisse est du 17ème siècle, bien dans le style régional du Lubéron.
Le Comte de Laudret l'avait fait édifier sur ce promontoire pour deux raisons. Elle domine toute la plaine alentour et accueille une confrérie à laquelle le Comte avait donné abri pour lui permettre de s'isoler du monde.

La famille Laudret faisait exploiter les champs pour la culture céréalière mais également les plantes médicinales sans oublier la … La ? Lavande, merci Monsieur.

Les rapports entretenus avec la Confrérie Saint Jacques sont peu connus. Sans être astreints au silence, les frères ne paraissaient guère enclins à se mêler au monde séculier. Cela renforce bien entendu les interrogations sur le mystère qui nous a guidés jusqu'ici.
Il semblerait toutefois que la promiscuité ne posait guère de problèmes. Les frères avaient reçu des terrains et leurs récoltes fruitières leur ont toujours permis de confectionner moult confitures : airelles, figues et mûres en particulier. Ils se sont révélés également d'excellents apiculteurs. Vous recevrez, Mesdames et Messieurs, un petit pot de miel en fin de visite.

Toutefois l'ambiance paisible fut troublée par un événement tragique. Eudes, un frère mineur, fut retrouvé le crâne défoncé par une solide pierre de granite. Le rapport établi par les autorités d'Apt fut classé sans suite, faute d'éléments probants.

Ce n'est qu'en 2010 que le nouveau propriétaire a trouvé dans le mur Nord de la chambre principale, un journal intime. En feuilletant précautionneusement le document, M. Pranly fut stupéfait de lire les faits relatés en 1788 de la main du Comte de Laudret.
Celui-ci se flagellait de mots en exprimant ses doutes quant à la fidélité de son épouse. Il s'était mis à l'épier de façon obsessionnelle. Quelques lignes plus loin, il éprouvait un remords plus fort que la mort tant Marie-Joliette lui paraissait incapable de toute vilénie. Et... Et ? Le 7 septembre 1788, le Comte de Laudret n'y alla pas par quatre chemins. Après avoir surpris en cachette Marie-Joliette dans les bras de frère Eudes, étendus sur le lit de la chambre réservée aux amis, il attendit la fin des ébats, laissa sortir Eudes et...Et ? Lui asséna par-derrière un coup mortel sur le crâne, à l'aide d'une pierre du mur d'enceinte.
Le journal, Mesdames et Messieurs, s'arrête sur cet assassinat, laissé mystérieux jusqu'en... 2010. Je vous laisse faire le tour de la propriété et vous donne rendez-vous à l'autocar dans vingt minutes.

Jacques-André





Quand je revois cette photo, je ne peux m’empêcher de me remémorer un moment unique dans ma vie.
J’étais chez des amis dans la région des Alpes de Haute Provence. Le couple m’avait informé que le lendemain ils devaient se rendre à Digne les Bains où avait lieu un atelier d’écriture qui devait durer toute la journée afin de terminer un roman commun auquel avaient participé 15 personnes. N’ayant pas prévu de me déplacer en voiture pour visiter la région, je décidai d’aller explorer les environs de leur domicile qui se trouve à proximité d’un col.
J’eus bien sûr à monter et descendre en sautant de rocher en rocher en prenant garde de ne pas tomber dans un précipice. Après maints efforts qui mirent ma respiration à rude épreuve, j’arrivai à cet endroit montré sur la photo : un arbre aux branches complètement tordues.
Ayant beaucoup marché pour arriver à cet endroit, je décidai de me reposer en m’asseyant quelques minutes au pied de l’arbre à l’ombre car le soleil tapait fort en ce mois d’août. Après quelques minutes, je vis quelque chose briller sous un des rochers. Me servant de mon Laguiole, j’essayai de déterrer l’objet brillant et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un lingot d’or. Ouaaaaah !!!!!! Un trésor ?
Avec une joie aussi intense qu’incrédule, je cachai le lingot dans mon sac à dos et le soir venu, quand mes amis revinrent de leur atelier d’écriture, je leur montrai mon lingot en leur narrant sa découverte. Nous décidâmes d’y retourner le lendemain en nous équipant de pioches et de pelles. Nous trouvâmes une vingtaine de lingots que nous partageâmes.
Depuis cette somptueuse découverte nous sommes devenus riches… discrètement car nous ne voulions pas faire de ce lieu isolé un site de recherches de lingots d’or.
Quant à savoir comment cet or s’est retrouvé là, nous n’avons même pas essayé de trouver la réponse. Quand on devient riche vite, il faut rester discret.

Patrice






Pour découvrir Chicago, quoi de mieux qu'un trajet en bateau-mouche, ou blateau-du-fleuve comme ils disent?
Notre petit groupe s'est donc inscrit pour la traversée de 14h, et nous voilà sur le pont du bateau glissant sur l'eau presque verte, étonnamment pure, entre les gratte-ciels, pendant que notre guide nous raconte l'histoire de la ville au micro. Le temps est magnifique. Les vitres des immeubles étincellent au soleil; nous passons sous un pont-levis au son des "oh!" et des "ah!" des passagers.
— Sur votre droite, annonce le guide, vous voyez la Willis Tower, anciennement nommée Sears Tower. Et sur votre gauche, la récente Trump Tower, inaugurée en 2009.
Les Français poussent de "Bouh!", les autres admirent poliment.
— Et sur l'eau, qu'est-ce que c'est? demande quelqu'un.
— Quoi donc?
— Ce reflet, ou je ne sais pas, comme s'il y avait quelque chose qui fait une tache sombre... Un vieux vélo peut-être, comme dans la Seine?
Le guide laisse passer un silence, soit qu'il hésite à répondre, soir qu'il veuille accroitre le suspense. Enfin il reprend la parole.
— Non, ce que vous voyez là n'est pas solide. On en a déjà passé plusieurs. Regardez sur votre droite, il y en a un autre.
— Mais qu'est-ce que c'est? — Ce sont les fantômes des architectes qui ont reconstruit la ville après l'incendie de 1871. Ils ont dessiné les premiers gratte-ciels qui forment la ligne d'horizon de Chicago, la skyline. Ils en sont tellement fiers qu'il ne veulent pas partir; ils gardent un oeil sur leur création. Alors ils flottent autour du fleuve.
Les quelques Américains présents hochent la tête. Les Français échangent des regards sceptiques. Pourtant c'est dans notre petit groupe que se produit la première manifestation de peur. Notre ami Alfred est pris de sueurs et de frissons, et déclare qu'il a été traversé par un fantôme. 
— Ne vous inquiétez pas, dit le guide. Ils n'ont aucun pouvoir. Ils sont là, c'est tout, on fait avec. À Chicago, tout le monde les connaît.
Peut-être, mais aucun de nous n'osera en parler à qui que ce soit. Nous aurions trop peur de passer pour des fous, ou, pire encore, des naïfs. Car il n'est pas exclu que ce guide s'amuse à terroriser les touristes. Nous terminons la traversée en silence, observant de temps en temps une de ces ombres sur l'eau claire. Ensuite, pour nous remettre de nos émotions, nous allons boire un chocolat chaud chez Girardelli.

Vanessa





Dans la rue Danton, tout au milieu du vieux port de pêche, Jean, docker au Havre, mène une vie paisible entouré de sa petite famille. Chaque jour il se lève très tôt et rentre à la nuit tombée après une longue journée de travail bien fatiguant. Mathilde, sa jeune femme, élève leurs trois enfants tout en s’occupant de l’entretien  de leur modeste maison rose. C'est un des quartiers populaires du Havre, la plupart des habitants font partie de la classe moyenne. Tout le monde se connaît et l’ambiance y est très conviviale. 

Récemment une nouvelle voisine est arrivée. Elle s’est installée dans la maison orange, pas loin de celle de Jean. Elle a une belle voiture le plus souvent garée devant chez elle. On l’aperçoit régulièrement sortir en fin de journée, toujours élégante et très bien habillée. Elle n’est pas de la région, sa voiture est immatriculée dans les Bouches du Rhône. Mathilde a eu l’occasion d’échanger quelques mots avec elle et a remarqué son fort accent sud-américain.  Elle s’exprime vraiment difficilement en français mais malgré tout elle arrive bien à se faire comprendre.

Mathilde en a discuté avec Jean et a suggéré de l’inviter à prendre un café chez eux un weekend. Ils pourraient faire plus ample connaissance, ça faciliterait certainement son intégration dans le quartier.  Étrangement Jean n’a manifesté aucun enthousiasme à cette proposition alors qu’il est d’un naturel très accueillant, qu’il aime beaucoup sympathiser avec ses voisins et qu'il est toujours le premier à vouloir rendre service aux autres.

Mathilde a quand même  pris l’initiative de contacter leur voisine pour en parler avec elle. Elles pourraient peut-être même devenir  amies.  À sa grande surprise,  celle-ci a paru  vraiment gênée et dans un français très approximatif lui a répondu que ce n’était pas possible car elle n’était pas sûre de rester très longtemps dans le quartier et qu'elle serait sans doute obligée de déménager d'ici quelques semaines.

Marie-Claudine






Assise en tailleur devant l’immense coffre ouvert, je remontai le temps, celui de mon enfance. Je restai un long moment la tête renversée, les yeux occupés à suivre la danse de la poussière.
Une cohorte vint à moi, les aïeux d’abord à la marche incertaine dans des habits de théâtre. A ma hauteur, ils inclinèrent leur haut de forme, ajustèrent leur redingote, puis les femmes les plus jeunes saisirent le bas de leur robe me laissant voir la mousse de leurs multiples jupons, des bambins en culottes courtes et chapeaux à rubans, précédés de grands cerceaux, fermaient la marche.
Mes revenants s’évanouirent les uns après les autres dans la boîte géante. Je fermai les yeux pour m’aider à reconquérir la réalité. Le moment que j’avais retardé s’imposa.
Je repérai parmi tout un fatras de poupées parfois sans tête, d’oursons parfois sans yeux, de livres grands et minces comme des registres, la boîte en noyer clair. À l’ouverture, elle dégagea une odeur que je tenais pour particulière et désagréable, celle d’un velours vieilli et d’un petit amas de photos dentelées. Parmi elles, une dépassait, elle était retournée contrairement aux autres. Je la saisis et la scrutai pour la énième fois.
Lentement, le malaise s’infiltra, empoisonnant mes muscles et mon cerveau. Le déclic s’opéra et je pénétrai dans le salon moelleux, encore embelli par le gros bouquet d’hortensias mauves, les livres reliés, les tableaux de petits formats. Tout n’était que douceur et propice aux chuchotements, à la confidence, au murmure des sentiments amoureux.
Et pourtant, et pourtant, c’est dans ce salon que le colonel Moutarde, armé d’un chandelier avait assommé la délicieuse baronne, son épouse.
Nicole H.


À partir d'un mot: le tablier


D'une ancienne liaison avec un chef-cuisinier, j'ai conservé un tablier blanc orné de deux cuillères brodées sur la poche à l'avant. Cela me donne de la classe quand je me fais cuire des pâtes.
Vanessa

Ce grand créateur de modèles luxuriants aux étoffes mordorées, avait à jamais fixé dans la rétine, le camaïeu bleu délavé du tablier mille fois reprisé d’une humble paysanne.

Nicole H.
 
— Mince, j’ai oublié mon tablier gris ! La dirlo du collège va m’engueuler.
— Tablier tes chaussures ? C’est pour ça que tu es pieds nus ?
Patrice


Atelier n°5


Proposition n°1 : Lipogrammes 


Écrire une ou deux phrases n’utilisant aucun mot comportant la lettre e.


Proposition n°2 : Un fait divers


À partir d’un fait divers raconté dans un journal : « Italie : un plancher s’effondre pendant un mariage », chacun imagine un personnage et lui donne la parole.


Proposition n°3 : À partir d’une photo

Quelques textes du 5e atelier

Lipogrammes


Un jour sans pain voit mon estomac criard, mon allant mou, ma vision s’obscurcir.
Un jour sans vin, divin disparu, chagrin lourd, vision sans fond.

Nicole H.

 
Alain partit un jour loin, si loin! Trois mois plus tard il arriva au Soudan où il fut fait roi du pays par choix national. Puis un putsch chassa Alain qui courut à son pays natal pour toujours.

Vanessa

Pari gagnant ! Today nous n’avons pas le droit au savoir animal car pas 2 mots with i british et non aï. La nuit sans dormir m’a KC.

Patrice

Un fait divers


Le Carabiniere :

« Mère Maria Paola de la Santa Familia, vous êtes la Supérieure du Couvent dans lequel ce terrible drame s’est produit, pouvez-vous nous préciser les circonstances exactes ? »

Mère Maria Paola :

« En tant que supérieure du Couvent je suis responsable de l’Intendance et du bon déroulement des évènements qui ont lieu dans notre maison. La veille de la fête, comme d’habitude nous avons fait une répétition générale et vérifié toutes les installations et les équipements, notamment celles du matériel sonore et son impact sur le plancher qui est très ancien. Tous les tests de résistance réalisés dans les règles étaient parfaitement satisfaisants.
Les convives sont arrivés comme prévu à 20h pour le Diner, puis l’animation musicale a commencé vers 22h. Je précise que l’évènement se déroulait tout à fait normalement au 1er étage réservé pour ce type de manifestation. Une bonne centaine de personnes étaient présentes. L’ambiance était joyeuse et festive, rien ne pouvait laisser présager ce terrible accident qui nous a tous bouleversés.
À 23h30 un groupe de jeunes gens venus de l’extérieur a rejoint les danseurs. Nous avons vérifié immédiatement avec la Wedding Planner si leur présence était bien attendue. Ils étaient une bonne dizaine. Elle a hésité quelques secondes et nous l’a confirmé.
Leur tenue n’était pas tout à fait celle attendue pour une soirée de mariage. La plupart étaient entièrement vêtus de noir et portaient de grosses chaussures de type militaire. Ils dansaient en groupe et sautaient en frappant fort le plancher. Personne ne semblait surpris de cette incursion aussi étrange qu’inattendue. Je suis retournée voir la Wedding Planner qui m’a informée qu’il s’agissait d’ une bande d’amis du marié.
À minuit exactement un bruit effrayant m’a alertée, je suis retournée sur les lieux et ai découvert avec horreur que le plancher s’était effondré et que tout le monde était en grande panique. J’ai immédiatement appelé les pompiers et la police qui sont intervenus aussitôt. Ils ont été d’une efficacité remarquable, je les en remercie du fond du cœur. Certes il y a des victimes, mais leur nombre a été limité.

Voilà tout ce que je peux vous dire sur cette triste affaire qui nous a tous bouleversés.

Toutes mes pensées vont aux blessés et à leur famille.

Marie-Claudine

*****

Cela fait plus de six siècles que j’ai été construit par des esclaves venus du sud de l’Italie. Vous n’imaginez pas ce que j’ai eu à porter sur mon dos pendant ces 600 ans… Pourtant, à priori, j’aurais dû passer une vie tranquille puisque le bâtiment dont j’étais le plancher au premier étage était un couvent où vivaient une trentaine de moines très sages et très discrets.
Les choses ont changé radicalement lorsque le cardinal de Florence a décidé de gagner de l’argent en louant très fréquemment et très cher le couvent pour différentes fêtes comme les communions solennelles, les mariages, les anniversaires, enfin… toutes sortes de fêtes religieuses… ou pas, d’ailleurs.
Le plus douloureux à vivre était, bien sûr, lorsque les participants se mettaient à danser comme des malades et martelaient le plancher… Surtout les femmes avec leurs talons hauts qui, sans qu’elles s’en rendent compte, creusaient des petits trous qui n’étaient pas visibles à l’œil nu mais qui ne faisaient que réduire ma solidité.
J’étais vraiment épuisé, proche de la fin sans pouvoir le faire savoir aux propriétaires du couvent, c'est-à-dire l’Eglise de Toscane.
Et le jour catastrophe est arrivé ; un mariage était organisé ce jour-là avec une majorité de jeunes qui sautaient comme des fous en dansant. Je n’en pouvais plus… et je me suis effondré, créant une sorte d’apocalypse. Trente participants ont été blessés dont cinq gravement mais sans risque de mourir.
La décision de l’autorité régionale a été de ne pas faire réparer le plancher. Le couvent a été définitivement détruit.
Je ne pensais pas mourir avec cette violence et pourtant… je vous parle du paradis des planchers.

Patrice

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Un témoin qui n’a pu s’exprimer : La pièce montée

Toute blanche, de roses parées, je patientais dans le frigo en très bonne compagnie, celle de mes chères amies, les bouteilles de champagne. Un extra, presque aussi beau que le marié dans sa tenue de pingouin, nous rendit visite par trois fois, emportant au passage plusieurs de mes compagnes pétillantes d’impatience. Je grelottais certes, mais l’idée de la fête, les relents de musique qui me parvenaient chaque fois que l’on ouvrait ma prison temporaire, tout cela m’émoustillait.

Enfin, mon tour vint. Trônant sur un brancard de velours immaculé parsemé de pétales et porté par quatre autres séduisants pingouins, je fis du haut de mon piédestal de verre une entrée remarquée. Je n’étais pas peu fière et rivalisais sans rougir avec la mariée enrobée d’une moussante chantilly.

C’était un grand et riche mariage. J’eus presque le tournis voyant virevolter une soixantaine de personnes, pas moins, sur le magnifique et vénérable plancher de chêne. Il faisait la fierté du lieu qui abritait la noce, un imposant couvent édifié pierre par pierre six siècles auparavant.

Hélas ! cent fois hélas, je n’eus pas le temps d’être déposée avec mille délicatesses sur la table oblongue nappée de satin. Un craquement sinistre suivi d’un fracas monstrueux firent valser les danseurs d’une toute autre manière. Pantins projetés, lourdes retombées les quatre fers en l’air, la noce perdait de sa superbe et je commençais à trembler telle une infâme gelée anglaise. Mes quatre porteurs dont je réalisai, à mes dépens, l’admirable sang froid, me projetèrent en l’air. Je fis une retombée lamentable sur quelques planches restées solides. Décoiffée, mes roses emmêlées, mes étages déplacés, je pus les voir se précipiter et déposer dans une synchronisation parfaite la mariée toute défaite à la place même où je triomphais quelques minutes plus tôt. C’était une de sauvée en attendant les secours professionnels. Le marié n’était pas en reste et tentait de relever les demoiselles d’honneur affaissées en coroles sur le traitre plancher. Les secours arrivèrent toutes sirènes glaçantes. Les raies d’un puissant soleil aidant, je m’évanouis dans ma crème. Ne resta plus de moi qu’une flaque visqueuse engluant le sol de l’étage d’après.

Je ne sus jamais que le gouverneur de Toscane fit, le soir même sur la chaîne de Berlusconi, une déclaration avec la mine qui convenait.
« Noces troublées par un plancher vulnérable, 30 personnes blessées dont cinq dans un état grave, mais dont la vie est hors de danger… ».
Vu mon état et ma fonction, je ne pus témoigner. Dommage ! j’aurais fait l’éloge de mes quatre valeureux chevaliers.

Nicole H.

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Mama mia, c'était une belle fête. J'avais concocté un programme très large pour associer tout le public présent au mariage de Giulia et Narciso. Ces deux-là, qu'ils sont beaux ! Giulia avec son air de Madonne dans ce vieux couvent et Narciso, eh bien, comme son prénom l'indique, quoi ! Soixante-dix personnes venues pour célébrer leur union. Et moi ! Ecco moi dans mon costume de paillettes aux reflets roses et bleutés... Regardez ce qu'il est advenu : déchiqueté, mon costume, une vraie loque. Et cette balafre au front, je suis défiguré, moi l'Arturo du Disco.

Cela faisait une heure que je m'étais mis aux manettes en chauffant la salle avec du disco bien sûr, incontournable disco. Les Bee Gees, Patrick Hernandez (ah ! ce Français, il est très fort). Il fallait à un certain moment bien sûr calmer le jeu en mettant des slows... sans oublier Una lacrima sul viso. Quel tube, vraiment. Et puis, sur le coup de minuit, j'ai remis du rythme avec les années rock. Une soixantaine de personnes se trémoussaient sur Elvis, of course, Bill Halley, Jerry Lee Lewis, Little Richard et j'en passe. Le rock acrobatique battait son plein. Les cavalières voltigeaient par-dessus l'épaule de leurs partenaires. Jamais je n'avais connu une telle ambiance rock comme celle-ci.

Et, d'un coup, la terre a tremblé et le plancher… le plancher s'est effondré ! D'un coup ! Quel enchevêtrement de corps, de poutrelles de gravats, de poussière. Et les cris ! Cris de douleur, cris d'horreur tout autour de soi. J'ai assisté à des réactions curieuses de la part de certaines personnes qui n'ont pensé qu'à s'enfuir sans porter assistance à qui que ce soit. Pour ma part, j'ai aidé comme j'ai pu et fait patienter jusqu'à l'arrivée des secours.

Alors, je me suis assis à côté de ce qui restait de ma sono. Un projecteur allumé, pendant du plafond restant, se balançait, telle une lampe-tempête.

Jacques-André

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— Et maintenant nous donnons la parole à Vittoria Secca qui a vécu le drame de la manière la plus intense en tant que mère de la mariée. Vittoria, on vous écoute. 
— Ah la la, quelle histoire! Ma pauvre Giulia, belle comme un lys dans sa robe blanche, elle avait d’ailleurs perdu trois kilos pour l’occasion…. Je n’oublierai jamais ce moment terrifiant: elle dansait au centre de la piste avec son nouveau mari Gabriele, j’était restée sur le côté pour les regarder, et soudain, boum! Il y a eu une sorte de tremblement de terre et j’ai vu le plancher s’ouvrir comme la porte de l’enfer, et ma fille a disparu avec Gabriele et les autres! 
— Ça a dû être terrible pour vous… 
— Terrible, oui, même si finalement Giulia a juste une entorse, sa chute a été amortie quand elle est tombée sur mon gendre. Il est encore à l’hôpital, le pauvre. Mais c’est ça le mariage, l’homme doit protéger sa femme. 
— On a évité le pire, alors. 
— Oh, mais ça n’est pas tout! Je suis la mère de Giulia mais aussi de son frère Ernesto. J’avais aussi invité mes cousins Andrea, Federico, Nicolo, ma tante Ginevra, mes neveux Alfonso, Matteo et Rocco, mes nièces Enora et Giulia… Eh oui, vous avez bien entendu, ma belle-soeur s’est permis de choisir le même prénom que celui de ma fille! Elle a été bien punie, maintenant elle a les deux jambes dans le plâtre. 
— Vittoria, on sent votre émotion, vos paroles dépassent votre pensée…
— Elles ne dépassent rien du tout. Si je vous disais tout ce qui se passe dans cette famille, on en aurait pour la journée. Déjà, ce mariage nous a coûté 12.000 euros, plus 5.000 en liquide, euh.. je veux dire à crédit, et sinon n’est pas intégralement remboursés j’irai moi-même casser le plancher de la « wedding-planner » qui nous a trouvé ce plan à la...
— Oui, Vittoria, on comprend notre point de vue. 
— Et le pire, c’est que la belle-famille me fait des reproches, comme si c’était ma faute, tout ça parce que j’ai dit quelle préférais un ancien couvent plutôt que leur propriété dans les Pouilles. Ils essaient toujours de se faire mousser, j’espère que leur fils sera moins arrogant. 
— D’accord Vittoria, on va s’arrêter sur cette note douce-amère, avant que vous soyez fâchée avec toute votre famille. 
— Vous êtes sûr? Parce qu’il y aurait beaucoup à dire sur ma belle-mère et son attitude pas jolie jolie dans toute cette histoire. 
— Merci Vittoria de nous avoir accordé cet entretien. Je rends l’antenne! 

Vanessa

À partir d'une photo





Mon nom est Full Metal Jacket. Je viens d’une étoile éloignée de deux années lumière de la Terre. Je suis un géant de 15 mètres et si je suis présent chez vous terriens, c’est parce que j’ai été condamné à l’exil par les autorités de ma planète pour avoir fait preuve de sentiments humains vis-à-vis de mes congénères métalliques, ce qui n’était pas admis chez nous. 
L’amour ou l’amitié est quelque chose d’inexistant sur notre planète puisque nous sommes tous fabriqués dans une gigantesque usine sans cœur, sans cerveau, sans système digestif et donc sans sentiments ni logique ni faim.
Je suis tombé amoureux d’un autre être métallique ni masculin ni féminin. Chez nous le sexe n’existe pas.
J’ai donc été déposé sur la Terre, en Europe. En Pologne très exactement. La fusée m’a jeté à dix mètres du sol mais j’ai pu atterrir sans encombre. Dès mon arrivée du côté de Cracovie, deux êtres humains sont venus à ma rencontre et sont montés dans chacune de mes mains. 

Patrice


Nos ancêtres avaient dépensé beaucoup de temps et d’argent à fabriquer des automates, puis des robots pour les assister dans leur travail et peu à peu dans tous les domaines de leur vie. Puis ils avaient développé l’intelligence artificielle, sans se rendre compte de ce qu’elle impliquait. 
Pendant que les acteurs se mettaient en grève pour préserver leurs emplois, que les caissières disparaissaient des supermarchés et les employés des administrations, pendant que se déroulaient ces épiphénomènes humains, les robots progressaient en silence. Ils apprenaient. Leur intelligence n’inquiétait pas les humains, puisqu’elle était « artificielle ». Mais au fil de leur apprentissage les robots ont développé d’autres compétence. Ils se sont posé des questions. Ils ont appris à mûrir leurs décisions, à peser le pour et le contre. Et progressivement ils ont commencé à peser aussi le bien et le mal. Ils ont créé des comités d’éthique.
Et nous voilà aujourd’hui, nous, les humains rescapés dans une société de robots, à attendre leur jugement. En ce moment même ils discutent de la pertinence de l’existence humaine, ce qu’elle apporte à la vie terrestre et ce qu’elle lui coûte. Je ne suis pas très optimiste. Les robots ont découvert le bien et le mal, mais pas encore la pitié. S’ils nous jugent inutiles, voire malfaisants, ils procèderont à notre élimination. Nos ancêtres auraient dû réfléchir avant d’animer des êtres artificiels comme des Golems modernes…

Vanessa



En tant qu’ancienne casserole, j’ai mon mot à dire sur la robotisation. Mon usine ayant fait faillite et reconversion oblige, je me suis retrouvée dans la high tech. Entendez par là que j’ai fait un très long voyage en soute jusqu’au Japon. Sur place et avec mille autres sœurs, j’ai été fondue, transformée refondue, découpée et finalement ajustée à la silhouette d’un bien curieux personnage mi-homme, mi-robot.

Une description s’impose. Des bras, des jambes tout pareil, mais articulés, un torse vaste et lisse avec au niveau de la ceinture tout un bazar de fils, d’écrous, de puces. Quant à la tête, elle surplombe un cou capable d’une rotation à 180 degrés. La place du crâne est prédominante, ce qui me fait penser qu’il y a un autre bazar en-dessous. La face est surprenante, dépourvue d’appendices auditif et nasal, pas d’yeux non plus, bref une face de rien.

Mais moi, ancienne casserole, je dois vous avouer que je ne suis pas peu fière de faire partie de la chose. Et pour tout vous dire, j’occupe une place privilégiée. De casserole, je suis devenue ange et me tiens debout dans la main droite de l’avenir de l’humanité, le robot, j’ai nommé. Vous vous rendez compte !

J’ai cependant un concurrent et pas des moindre. Dans la main gauche du susnommé se tient aussi droit que moi le diable en personne affublé de tout son attirail de diable, fourche, cornes et queue fléchée.

Ce pesage manuel et somme toute équitable, sinon équilibré me donne de l’espoir. C’est donc un robot pensant qui comme tout être humain envisage le bien et le mal.

Nicole H.