Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Atelier n°7


Proposition n°1 : Monosyllabe

Ecrire une phrase dont tous les mots ne comportent qu’une syllabe. 


Proposition n°2 : Nécrologie d’un personnage imaginaire 

Chacun invente un personnage célèbre : patron d’entreprise, homme politique, inventeur génial, sportif, artiste… puis rédige sa nécrologie pour un journal.


Proposition n°3 : Ecrire à partir d’une première phrase imposée


     « Sans le faire exprès par pur hasard, en ouvrant la porte de chez lui avec sa clef, Luigi ne fit aucun bruit. Il en profita, pour le plaisir de faire une surprise, et avança doucement à pas de loup. »
        Dino BUZZATI, Le K (début de la nouvelle « Esclave »).

Quelques textes du 7e atelier


Écrire en monosyllabes


Qui a vu mon vers à soie ?

Il surfe sur la mer en short de bain à fleurs quand, crac ! les dents de la mer le croquent.
Hélène 

Pour ce test le rond est bon (mais pas le carré).

Au fond du bois Bob se pend par le cou.

Il but un verre et mit le vin en fût.

Au bord de l’eau Tom a la peau mate, 
mais il y a peu d’eau, la mare n’est pas un lac et la mer est bien loin.

La cour du roi n’a plus cours, mais les cours du soir sont du jour. 
Pierre

Un jour où il fait beau, on dit : quel ciel bleu ! Et là-haut, les points blancs qui frisent. 

On a faim. On prend des crêp's? 
En veux-tu, toi ? On y va tous ? Et lui, il nous suit ? 
On y va, et là, on prend le plat qu'on veut. 
On voit un grand choix. On veut plein de vin et de l'eau. Et du pain frais. Pour la fin, un thé, s'il vous plaît ! 
Le gars qui boss' là sert les plats à tous. 
C'est très bon, ma foi ! Ça vaut le coup, si si ! 
Mais, zut, on est sans le sou ! On est mal. Que faire ? 
Paul vient nous voir. Il rit et paie le tout pour nous. 

NDA : J'ai du mal : ces mots courts me gênent et pas qu'un peu ! 
Manuel


Nécrologie d'un personnage imaginaire


Pierre Poljacques 
1853-1918 

Bandit de grand chemin français, connu pour avoir organisé une attaque d'un dépôt de métaux précieux. Échappe à la police plusieurs fois de suite, jusqu'à son décès en 1918. 

Naissance 
Issu par sa mère d'une vieille famille bretonne, Pierre Poljacques naît à Paimpol en 1853. Son nom complet est Pierre-Marie Joseph Poljacques. Son père, Jacobus Polder est un tisserand des Flandres qui va franciser son nom en Jacques Poljacques. Il aurait choisi la Bretagne pour s'établir définitivement, afin de profiter du climat ensoleillé ou des crêpes dentelles bretonnes, les sources ne sont pas concordantes. 

Éducation 
Inscrit à l'école catholique, Pierre réussit à échapper aux justes punitions qui châtient les galopins en opérant une astucieuse rotation de ses prénoms. Ainsi son professeur de mathématiques accumule-t-il les retenues contre Paul De Pierre-Jacques. Pour son moniteur de sport, Jacques Paul-Pierre aurait mérité plus d'une colle. 
Les bonnes sœurs qui inculquent le catéchisme aux jeunes gens de son époque hésitent à punir quelqu'un qui cumule autant de prénoms d'évangélistes avec une tranche de Sainte-Famille au milieu.  
Age adulte 
Pierre échappe à la conscription en prétendant porter le nom de famille Jacques quand le tirage au sort a dépassé la lettre J. 
Le chenapan entreprend une existence de chapardages, pendant que la maréchaussée s'échine à arrêter Pierre, Paul ou Jacques. 
Sa destinée basculera quand il rencontrera le dénommé Vincent François-Pierre Elezotre. Ils s'associent pour former une redoutable bande. Ensemble, ils se feront un nom. La bande commet les pires méfaits. 
On leur doit notamment l'attaque audacieuse à Nicard du Dépôt Des Métaux Précieux. La bande fait disparaître une grande quantité de lingots d'or dont on n'entendra plus parler. De là la fameuse expression « Mais où est donc l'Or de Nicard ? ». 

Arrêtés un instant, Pierre Poljacques et Vincent François-Pierre Elezotre réussissent à convaincre les forces de l'ordre qu'ils ne sont que des complices. Ils sont relâchés sur la promesse de livrer le reste des membres de la bande, Paul, Jacques, François, Pierre et les autres. 

Mort 
Hélas, les subtilités de la langue française échappent au virus de la grippe espagnole. Pierre, Paul et Jacques sont frappés indistinctement et en même temps. Suite à un échange de dossier médical, Pierre Poljacques décède à cinquante-cinq ans au sortir de la guerre de 14-18. 

Anecdote 
À noter que Pierre Poljacques a failli être inhumé dans la tombe du soldat inconnu. Le ministre de la guerre, interrogé pour la vingtième fois par un général pour savoir qui garnirait la tombe aurait répondu : « Vous m'ennuyez, à la fin. Prenez Pierre, Paul ou Jacques ». 
Un attaché militaire qui avait ses lettres empêchera la méprise.

Manuel


*

Rose-Marie Flamand, célèbre pour avoir réalisé le tour du monde en échasses en 780 jours, est décédé ce 11 mars au matin, à l’âge de 77 ans, des suites d’une septicémie généralisée. Sa mort intervient alors qu’elle était déjà très affaiblie par une nécrose des pieds développée par le port permanent d’échasses depuis l’âge de 11 ans. 

Née le 26 février 1938 au sein d’une famille bourgeoise du 8e arrondissement de Paris, elle se sentit rapidement étouffée par ses parents, Raymond et Blanche Flamand, tous deux précurseurs dans le domaine de la recherche médicale et inventeurs du vaccin contre la redoutable fièvre du ragondin, et qui nourrissaient de hautes ambitions pour leur fille, prédestinée à suivre leur brillante voie. 

La petite Rose-Marie, écœurée par l’obsession de ses parents pour les ragondins et leur abominable fièvre et épouvantée par les histoires de vivisection qu’ils lui racontaient le soir au coucher, prétexta une allergie aux poils de cet animal afin de quitter le domicile familial à l’âge de 11 ans et intégrer un pensionnat de jeunes filles dans les Landes. La petite parisienne aux mocassins vernis tomba immédiatement sous le charme de ces bergers perchés sur leurs échasses, échappant de fait aux vicissitudes de la vie matérialiste ainsi qu’aux injonctions de tous les taciturnes rabat-joie répétant à qui voulait l’entendre qu’il fallait « garder les pieds sur terre ». Les échasses entrèrent donc dans la vie de Rose-Marie. Elle ne quittait plus ces deux attributs pédestres et en avait une paire pour chaque occasion, de taille et de couleur différentes, qu’elle mariait avec goût et élégance. C’est avec fière allure qu’elle se rendait à l’école, au marché ou encore à la messe, sans avoir jamais cédé aux pressions de sa famille, catastrophée par cette atypique habitude. 

Après de brèves études achevées à l’âge de 16 ans, elle décida de quitter ses Landes d’adoption pour entreprendre, en 1954, le premier tour de France en échasses, avant de se lancer dans un tour du monde, toujours juchée sur ses échasses, six années plus tard. Elle réussit l’exploit de le boucler en 780 jours, livrant sa conception du monde, au fil de son périple, à qui souhaitait enfin prendre un peu de hauteur sur une vie jugée insatisfaisante. 

A son retour sur ses terres landaises, et alors que de nombreuses voix s’élevèrent afin que Rose-Marie écrivît le récit de son extraordinaire voyage, elle préféra se consacrer à la vie de son petit village, s’engageant entre autres dans la restauration de l’église et la reconstruction de l’ancien relais de Poste, travaux que le port d’échasses facilitait grandement. 

Elle dédia ainsi sa vie aux autres, et elle en oublia de prendre soin de ses pauvres pieds, soumis à une compression permanente et excessive durant des dizaines d’années. Ceux-ci finirent par se nécroser et Rose-Marie eut beau demander aux meilleurs orthopédistes de guérir le mal, le mal était fait : elle dut se résoudre à abandonner la marche et c’est à l’issue de longs mois de souffrance et d’alitement forcé qu’elle s’est éteinte, entourée des siens et chaussée de ses échasses. 
Hélène

*

C’est avec une grande tristesse que nous apprenons ce matin le décès de monsieur Jules Pingre, l’illustre inventeur de notre économe national. 

Issu d’une famille d’agriculteurs, Jules Pingre est né en 1925 dans la ville de Thiers au cœur de l’Auvergne et c’est pendant son service militaire, excédé par les ‘’corvées de patates’’ qu’il inventa le merveilleux outil qui enchanta bien des bidasses et des ménagères. 

On aurait tort de penser que la nation toute entière lui fut reconnaissante. 
Est-ce ses origines auvergnates ou est-ce son admiration pour le Comte Goutte, ancien trésorier du roi, qui donnait ses subsides avec parcimonie, toujours est-il que quelques mauvais plaisants qualifièrent l’inventeur d’Harpagon et son invention d’épluche-radin, de couteau avare ou de rappe rapiat. 

Quelle ingratitude, Messieurs, pensez à toutes ces heures gagnées du fait du confort de cet épluche légumes, pensez aux tonnes de pommes de terre économisées du fait de la minceur de l’épluchure.
Même monsieur Mc Donald nous a fait part de son émotion et a demandé une minute de silence ce midi dans tous ses fast-foods.

Alors, désolé, Messieurs les croquants, mais dans ce cas précis, nous préférons Brassens à Molière. Et puisque tu es mort Jules Pingre, Toi l’Auvergnat qui sans façons fut le premier anti gaspi quand dans la vie il faisait faim, puisque le croque-mort va t’emporter… 

Qu’Il te conduise à travers ciel, au Père Eternel. 

Pour info : L’économe été inventé par Victor Pouzet à Thiers en 1929 
Pierre

*

Un chef étoilé rejoint le firmament 

Nous apprenons avec tristesse le décès du célèbre chef cuisinier Amandin du Fournot, victime héroïque de son incessante recherche d'innovations culinaires. En effet, c'est en goûtant sa dernière création, un pâté de silex au coulis de prune, que du Fournot a trouvé la mort ce mercredi matin dans la cuisine de son restaurant Le Marmiton Suprême, à cinquante-trois ans. 
"Il est mort comme il a vécu, en chef", déclare son premier commis Maxime Amaretto. 
Amandin du Fournot a vu le jour le 7 août 1967, l'année où fut inventée le pain au chocolat sans chocolat par un habitant de son village creusois. Cette coïncidence l'a profondément marqué et a sans doute orienté son destin. Dès l'école primaire, le petit Amandin disait à qui voulait l'entendre : "Moi aussi je serai un grand inventeur de cuisine." 
A la fin de la troisième il a intégré les Compagnons du Tour de France pour se former à la patisserie; Déjà à cette époque, ses maîtres s'étonnaient de sa hardiesse à associer les saveurs les plus inattendues. Son chef-d'oeuvre de fin d'études fut une pièce montée de saucissons au miel et à l'armagnac. 
La suite est connue : une pluie de récompenses et de scandales sanitaires. En plus des trois étoiles au Michelin pour son Marmiton Suprême, du Fournot a reçu la cuiller d'argent pour sa fricassée de bison à la papaye safranée, et la toque d'or pour son macaron d'argile blanche et fruits rouges. 
Il fut précurseur dans sa conviction que les insectes allaient bientôt intégrer notre régime alimentaire ; c'est ainsi qu'il a reçu le prix de l'innovation culinaire pour sa crêpe de sauterelles et son sorbet de pâquerettes. 
Nous ne reviendrons pas sur l'intoxication alimentaire qui conduisit quarante-trois clients de son restaurant à l'hôpital en mars 2008. Gardons plutôt le souvenir d'un virtuose de la cuisine, et des multiples surprises qu'il nous a offertes au fil d'une carrière à nulle autre pareille.
Vanessa


À partir d'une première phrase imposée


Sans le faire exprès par pur hasard, en ouvrant la porte de chez lui avec sa clef, Luigi ne fit aucun bruit. Il en profita, pour le plaisir de faire une surprise, et avança doucement à pas de loup. 


Sans le faire exprès par pur hasard, en ouvrant la porte de chez lui avec sa clef, Luigi ne fit aucun bruit. Il en profita, pour le plaisir de faire une surprise, et avança doucement à pas de loup. L’appartement était plongé dans l’obscurité et agréablement silencieux. Seul lui parvenait le son étouffé de la radio de son voisin Guido qui ne manquait jamais la retransmission d’un match de football. Il se dirigea vers la chambre où Anabella devait déjà certainement dormir. Tout en traversant le salon, il s’imagina en train de la réveiller grâce à mille caresses et bien d’autres douceurs dont il avait le secret. A cette seule pensée, il faillit renverser le vase chinois qu’aimait tant Anabella et frissonna à l’idée d’avoir frôlé la catastrophe. Arrivé devant la chambre, il se déchaussa, ouvrit la porte avec précaution, entra et marcha sur la pointe des pieds jusqu’au lit où, en effet, dormait sa douce et chère Anabella. Il lui prit délicatement la main – oh, sa peau était si soyeuse ! – et y déposa de délicats baisers avant d’entreprendre une sensuelle ascension du bras de sa bien-aimée. Il fut arrêté net par un mouvement brusque de ce même bras qui se mit à viser sa tête afin d’y déposer une violente gifle.
« C’est à cette heure-là que tu rentres, espèce de soiffard ! » lui hurla une Anabella en bigoudis plus réveillée que jamais. « Je savais que je ne pouvais pas te faire confiance, toujours à traîner dans les bars avec tes amis tout aussi alcooliques que toi, poivrot ! ».
Luigi, qui dans un mouvement de recul s’était retrouvé assis par terre au pied du lit, regardait bouche bée Anabella s’égosiller et médire sur ses amis et sa pauvre personne, alors que son retour tardif n’était la conséquence que d’un travail hautement rébarbatif de comptable dans une entreprise de fabrication de vis et de boulons. « J’aurais dû épouser Cristina » se dit-il, vaincu par le désarroi.
Hélène

*

Comme ce jour il fêtait ses cinquante ans, il était d’humeur plutôt joyeuse, voir, quelque peu farfelue, et le souvenir du dernier repas de famille où son épouse et sa belle-sœur, toutes deux assez émoustillées, avaient envisagé une soirée ‘’Chippendale’’, lui donna une idée qui, sur l’instant, lui parut des plus géniales.
Délicatement il retira ses chaussures, puis se déshabilla intégralement avant d’enfiler le magnifique string léopard acheté avec son beau-frère un soir de beuverie.
Pour soigner l’image, il s’affublât d’un joli nœud papillon, des mules roses à pompons de sa Chère et tendre et, pour parachever le tout, s’équipa du vieux plumeau jaune qui serait le sceptre du Roi de la soirée.

Nul doute que Carla allait être surprise en découvrant le splendide tableau de son petit homme bedonnant affublé d’une tenue on ne peut plus originale pour un cadre dirigeant.
« Ah !!! Je vais t’en donner, Moi, des chippendales !!!... » pensa-t-il rigolard…

Doucement, il s’approcha du salon et, brandissant son plumeau, entonna un superbe « Boys Boys Boys… » en ouvrant grand les portes sur ses collaborateurs qui étaient tous venus là pour fêter son anniversaire…
Pierre 

*

Luigi leva la tête et renifla doucement. L'odeur de la personne derrière la porte du salon lui parvenait, mélange subtil de parfum, savon, et de sueur. C'était sa femme Gina, qui l'avait envoyé chercher du parmesan, en pleine nuit : 
- Je sais, caro mio, qu'il fait nuit. Mais pour les lasagnes, il me faut du parmesan. Va-donc en chercher chez Tonio, l'épicier du centre-ville. Ne me dis pas que tu as peur, un grand gars virile comme toi. Il y a quand même des lumières, et puis, c'est la pleine lune, ce soir. Tu as peur de te perdre, mon Luigi ? Tu veux que j'appelle ta mamma
La seule évocation de sa mère avait donné un coup de fouet à Luigi. Il n'irait pas chercher du parmesan pour Gina, ni pour prouver qu'il n'avait pas peur des ruelles de Roma. Il irait parce qu'il était le digne fils de sa mère. Luigi avait jailli de son canapé. Il avait attrapé dans l'entrée le petit porte-monnaie qui trônait sur un guéridon en acajou. Gina avait lancé au moment de partir : 
- Et traîne pas, hein. Tes amici, ils sont déjà rentrés. 
Luigi avait dévalé brutalement les escaliers, en espérant qu'un de ses copains aurait la bonne idée de sortir. Pas un n'avait passé la tête sur le pallier. C'était l'heure du film, et seuls les hommes dont on mettait l'honneur filial en jeu sortaient dehors. 
Luigi avait réprimé un grognement. Les rues étaient encore plus sombres qu'il ne l'avait imaginé. Il avait foncé vers la boutique de Tonio, pour en finir au plus vite. L'épicier, la télévision allumée et branchée sur le film, lui avait remis son fromage sans un regard. Tonio avait retrouvé un instant ses mécanismes d'épicier quand Luigi l'avait payé. D'un air goguenard, Tonio avait rendu la monnaie avant de replonger son regard sur l'écran. Luigi était ressorti. 

La curiosité de Luigi avait été la plus forte quand il avait entendu sur le chemin du retour des couinements. Se dirigeant à l'oreille, il s'était engagé dans une impasse mal éclairée. Là, une silhouette accroupie avait relevé la tête. Luigi avait reconnu des formes féminines, qui ne l'avaient pas particulièrement inquiété. 
Le sourire carnassier dévoilant une dentition impressionnante était parmi les dernières choses dont il se souvenait. Une détente rapide avait propulsé cette ombre sur lui. Un feulement avait glissé jusqu'à ses oreilles : « Je suis la Lupa ». 
Le noir de la nuit s'était coulé dans le noir de l'impasse pour engloutir la raison de Luigi. Il s'était réveillé allongé par terre, à côté de son sachet de parmesan, avec une douleur incroyable à l'avant-bras. Sa manche de chemise était déchirée et poisseuse. Il était seul. Luigi se releva en titubant. Il sortit à la lumière d'un réverbère pour examiner son état. 
Ses avant-bras velus, fierté de Luigi sur la plage, étaient maintenant tellement poilus qu'on aurait dit une fourrure. Ce pelage noir recouvrait tout son corps, il le sentait. Ses membres étaient plus secs et noueux. Une nouvelle puissance traversait Luigi, pendant que ses sens s'affinaient. Il détectait plusieurs odeurs laissées des heures auparavant. La ruelle ne lui paraissait plus si sombre, et il y distinguait même les irrégularités du sol. L'écoulement des eaux de pluie lui parvenait distinctement, ainsi que le passage lointain de quelques voitures. Luigi jeta un coup d’œil dans une flaque d'eau. Son reflet lui renvoya un museau couvert de poil et des petites oreilles triangulaires. Luigi était plus proche de la Bête que de l'Homme. 
Il courut se réfugier chez lui, affolé. Sa foulée était souple, et malgré l'effort, il n'arriva pas essoufflé devant son immeuble. Après s'être assuré qu'il ne serait pas vu, il monta les marches et passa la clef dans la serrure de la porte de son appartement. La porte céda sans un bruit, pour une fois. Luigi se glissa dans l'entrée sans allumer la lumière ni s'annoncer. 
Gina attendait son parmesan. Elle avait quitté la cuisine et regardait son Giallo, installée à son tour sur le canapé. Luigi percevait maintenant la petite note de sueur aigre qui dénotait son impatience. Silencieusement, une larme perla de l’œil de Luigi, le loup-garou. 

Manuel
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Sans le faire exprès par pur hasard, en ouvrant la porte de chez lui avec sa clef, Luigi ne fit aucun bruit. Il en profita, pour le plaisir de faire une surprise, et avança doucement à pas de loup. 
Pris par son jeu, il décida de prendre l’escalier (au lieu de s’avancer vers le salon ou la cuisine comme il en a l’habitude, là où il peut déjà prendre un petit bout de pain, casser deux trois noisettes pour les manger) et il monta jusqu’au premier palier. Il réussit à ne faire grincer aucune latte de bois.
Trois portes se présentaient à lui. La chambre, la salle de bain, le placard. Il n’avait pas envie de prendre un bain. Finalement, il entra dans la chambre. Mais que faire dans une chambre, à cette heure, sans rien dans le ventre, sans cette petite chaleur familiale, ces petits échanges réconfortants sur la journée écoulée, que faire ? 
Luigi n’a pas envie de s’étendre tout seul dans le lit et toujours animé par le plaisir de surprendre, Luigi va dans la salle de bain. Il n’allume pas la lumière. Il fouille dans un petit bric-à-brac de crèmes, désinfectants, comprimés. Il se met un pansement sur le nez, du coton dans les narines et un peu de mercurochrome sur chaque joue. Il se déshabille, cache ses habits dans le panier de linge sale et enroule son corps dans une serviette. Il retourne dans la chambre, toujours sur la pointe des pieds. Il ouvre un placard. Il pense aux secrets qu’il avait autrefois quand il était jeune. Il cachait ses pensées écrites dans des petits carnets dans ses tiroirs de commode. 
Il avait parfois un langage secret pour que personne ne puisse le comprendre. Il écrivait tout ce qui lui passait par la tête. Quelle liberté il éprouvait. Il désirait ardemment bien s’exprimer sur tout. Il voulait que le monde lui appartienne. En écrivant, il se sentait grandir et fier. Mais pour rien au monde il n'aurait laissé découvrir ses pensées écrites. Et le temps qui passait ainsi à écrire, se relire, et tous ces petits carnets de toutes tailles, de toutes les couleurs. Dans sa quête de surprendre, Luigi décide de se mettre sous le lit. Et il attend, attend , attend de surprendre par sa fausse disparition et pense à ses petites histoires, toutes ses petites notes dans ses carnets remplis et il s’endort.
Agnès

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Sans le faire exprès par pur hasard, en ouvrant la porte de chez lui avec sa clef, Luigi ne fit aucun bruit. Il en profita, pour le plaisir de faire une surprise, et avança doucement à pas de loup. Il posa silencieusement sa sacoche sur la console de l'entrée et s'avança dans le salon sans allumer la lumière. Sa femme était sans doute dans la chambre ou dans la salle de bains. Il allait l'attendre sur son fauteuil préféré, et quand elle entrerait dans la pièce il se lèverait en poussant des cris pour lui faire une blague. Il riait intérieurement en y pensant. 
Il s'approcha à tâtons du fauteuil et s'assit - du moins il posa une fesse et se releva aussitôt en hurlant. Il y avait déjà quelqu'un dans le fauteuil. 
- Jenny ! hurla Luigi. Ça va pas la tête ? J'ai eu la peur de ma vie. 
- Je ne suis pas Jenny, répondit une voix d'homme. 
- Ah ! hurla Luigi ! 
Il se précipita vers la lampe la plus proche, mais il a renversa en tentant de trouver le bouton. Il voulut alors atteindre l'interrupteur sur le mur pour allumer la suspension, mais en chemin il buta sur quelque chose de mou. la chose poussa un cri, et Luigi cria encore plus fort. Il y avait un deuxième homme dans son salon, debout contre la fenêtre, et il venait de lui écraser le pied. 
- Qu'est-ce que c'est que ce boucan ? fit la voix mélodieuse de Jenny au loin. 
Luigi entendit une porte s'ouvrir ; puis la lumière se fit dans le couloir. 
- Non Jenny, ne bouge pas ! Il y a deux hommes dans le salon ! Appelle la police ! 
- Pour être précis nous sommes trois, fit une autre voix masculine qui semblait monter du ficus. 
- Ah ! cria Luigi. 
Il commençait à avoir mal à la gorger à force de crier. À ce moment le salon s'illumina. Jenny venait d'entrer. Luigi, les yeux plissés, regarda autour de lui. L'homme assis dans son fauteuil portait une perruque blanche et un costume étrange, vaguement moliéresque. L'homme de la fenêtre était lui aussi déguisé et perruqué. De même l'homme du ficus. Luigi cria une dernière fois et s'évanouit.
Quand il revint à lui il faillit retomber dans les pommes. Trois têtes d'hommes emperruqués étaient penchées sur lui. Au-dessus d'eux, Jenny lui souriait. 
- Mon bichon, faut pas te mettre dans un état pareil. Ce sont des comédiens, je les ai embauchés pour te faire une surprise, un petit spectacle pour fêter ta promotion.
- Je n'aime pas les surprises, marmonna Luigi.
Vanessa