Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Jeudi atelier n°1


Proposition n°1 : Cadavre exquis classique

- Sujet,
- verbe,
- complément d’objet,
- complément circonstanciel, adverbe ou autre précision.

Proposition n°2 : Lettres pour un métier loufoque

1er texte:
Lettre de motivation pour un métier bizarre
Ex : rangeur de provisions dans le frigo.

2e texte :
Réponse d'un employeur potentiel à la lettre de motivation écrite par un autre participant.

Proposition n°3 : À partir d’une photo

Quelques textes du 1er jeudi


Cadavre exquis


La table réfléchit une éponge dégoulinante tendrement. 
L'orchidée fanée écrit avec une serviette en papier blanche fabriquée en Chine. 
Je déposai des champignons hallucinogènes de manière hautaine. 
Le capitaine dessine des vagues noires jusqu'à la tombée du jour. 


Lettres pour un métier loufoque


traducteur de blagues carambar en portugais 


Des fadas au pays du fado 

Monsieur, 

Le Portugal est un pays d’avenir, surtout pour la maison « Carambar », dont le marché reste là-bas entièrement à développer. 
Nous avons déjà testé certaines de nos blagues sur des centaines d’écoliers locaux, sans parvenir à en dérider aucun. Nous ne pouvons pas incriminer notre traducteur, ni nos auteurs : ils ont tous fait de leur mieux, quitte à sombrer dans la dépression, l’alcoolisme ou la folie. 
C’est donc avec un intérêt certain, voire avec gratitude, que nous acceptons votre candidature : votre connaissance de notre culture humoristique « maison », ainsi que celui du folklore burlesque portugais, nous incite à vous fixer un rendez-vous. 
Désolé pour le Carambar géant que nous avons envoyé précédemment, afin de vous faire participer d’emblée à l’esprit « maison » : en plus de la lettre de convocation, il contenait le cadavre du créatif encore valide, qui avait un sens de l’humour bien à lui. 
Nous espérons qu’avec vous nous repartirons sur un bon pied : votre bureau et votre boîte d’antidépresseurs vous tendent déjà les bras.

Eric

*****


chercheur de lentille de contact tombée par terre 

Madame, monsieur, 

C’est avec un extrême intérêt que je découvre votre offre d’emploi de chercheur de lentille de contact tombée par terre. 

Depuis de nombreuses années, la lentille de contact m’apparait comme le symbole de la modernité : efficace, légère, préservant le côté naturel du visage, écologique car évitant le lourd procédé de recyclage du verre, technologique avec son façonnage au micron près, et in fine vecteur de relocalisation de l’emploi en Europe … Bref, je suis parmi les inconditionnels de la lentille. 

Or, comme vous le savez trop bien, son seul défaut est le risque de chute inopinée, le matin quand on la cherche encore mal réveillé, ou sous l’effet d’une bousculade, ou encore sous celui d’une crise de larmes. 

Il se trouve que je suis particulièrement apte à répondre à ces situations. Mal voyant moi-même, autant dire presque aveugle, je suis entrainé depuis ma prime enfance à retrouver à tâtons la 2e chaussette qui toujours nous échappe au lever. Pratiquant les transports en commun tous les jours, je n’ai pas mon pareil pour récupérer les piécettes tombées des poches des touristes asiatiques régulièrement bousculés par des voyous dans le métro parisien. Grand sentimental, je sens venir le pleur chez mon interlocuteur une bonne minute avant son déclenchement. 

J’attends donc avec confiance votre convocation, par téléphone de préférence, ou à défaut en braille. 

Votre dévoué 
Abel de Caïn (Jean-Marie)
***** 

coupeur de tarte, quiche, galettes et camemberts


Madame, Monsieur, 
C’est avec un grand intérêt que j’ai découvert votre annonce concernant le poste de coupeur de tartes, quiches, galettes et camemberts.
En effet, je pense correspondre au profil recherché. J’ai depuis ma plus tendre enfance une passion pour le découpage, tranchage et autre scalp. Dès que je fus en âge de trancher, je découpais allègrement tout ce qui me passait sous la main, rideaux, peluches, même le chat du voisin. 
Je peux mettre à profit mon talent au service des gâteaux et fromages en tout genre. Je manie couteaux, pelles à tarte, scies, j’apprends vite et peux me former sur tout nouvel outil dont j’aurais l’utilité. N’hésitez pas à me contacter pour plus d’informations. 

Veuillez agréer Madame, Monsieur l’expression de mes tranchantes salutations.

Mathilde


Madame, 
Suite à votre courrier, je suis au regret de vous informer que nous ne pourrons donner suite à votre candidature. 
En effet, si, effectivement votre expérience dans le domaine de la découpe semble de longue date, force est de constater que vous êtes autodidacte et qu’aujourd’hui, même pour l’emploi le plus subalterne, une formation d’au moins bac plus deux est absolument indispensable. Moi-même, avant d’être nommé responsable des ressources humaine de notre entreprise, j’ai reçu une formation bac plus six dans l’art de couper les cheveux en quatre. 
Avec tous mes regrets, veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées. 

Pierre 

 *****

décrypteur de notices Ikea

Madame, Monsieur,
Chers amis suédois,
Hej !

Je souhaite vous soumettre une idée qui, j'en suis sûr, va considérablement améliorer votre service après-vente. Il s'agirait de proposer à vos clients, en complément de la livraison, un service de décryptage de vos notices, afin qu'ils puissent monter leurs meubles plus sereinement, sans s'arracher les cheveux, sans devoir tout démonter parce qu'un "bitoniau" a été placé à l'envers. Ils auraient ainsi les avantages du meuble Ikea sans son triste corolaire, la crise de nerfs.

Ce service serait payant, bien sûr, mais à un tarif abordable, comme l'ensemble de vos produits. Le client recevrait, avec l'habituel schéma incompréhensible, une vidéo où quelqu'un mimerait les A et les B, mettrait en scène le schéma, pour ainsi dire.

Et pour cela, je suis le mieux placé. Je mange des Krispolls tous les matins, je possède trois étagères Billy, et je maîtrise la langue des signes. J'ai une longue expérience du déchiffrement car j'ai corrigé des copies d'élèves pendant quinze ans, et j'ai personnellement sué sang et eau pour monter une armoire Ikea. J'ai toutes les connaissances pratiques et théoriques nécessaires pour être le premier "décrypteur de notices Ikea".

Dans l'attente de vous lire,

Albert Durand (Vanessa)



À l’attention de M. Albert Durant

Cher Monsieur,

Nous avons lu attentivement votre lettre de candidature. Malheureusement, nous ne pouvons pas y donner suite.

En effet, nos notices sont élaborées en toute connaissance de cause par des salariés de l’entreprise embauchés spécialement pour leur dose de sadisme. Ils produisent des schémas incomplets, rajoutent des dessins de clous inutiles, retirent exprès un élément indispensable à l’assemblage. Cela fait partie du plaisir de l’achat d’un meuble Ikea.
Les clients n’ont jamais été aussi nombreux. Ils affluent dans nos magasin, car une étude a démontré que notre clientèle type est masochiste. Elle redemande sa dose d’énervement, de stress, de disputes conjugales. Si elle en est privée, elle se tournerait vers une autre enseigne, où les notices serait bien faites, et les videos limpides.

Vous souhaitant bon courage dans vos recherches d’emploi,

Ikeament votre,

Magnus X (Mathilde)

*****

Expert en ronds de fumée 

Monsieur, 

Nous accusons réception de votre lettre de motivation du 16 courant, relative à un poste d’expert en ronds de fumée. Nous sommes au regret de ne pouvoir y donner suite. 

Notre société est en effet engagée dans la formation des apprentis rondeurs de fumée, avec une insistance particulière sur les bases théoriques de ce métier. Vos capacités, que vous décrivez comme innées et intuitives, ne nous apparaissent pas en ligne avec la rigueur analytique que nous demandons à nos experts d’imposer dans le cadre de notre enseignement. 

Par ailleurs, votre état de santé augure mal de la durée de la mission que vous pourriez nous consacrer. Vous vous produisiez partout en France dites-vous, et bien toussez maintenant. 

Signature : illisible 

PS : En lisant attentivement le CV joint à votre lettre de motivation, nous y découvrons que vous avez essentiellement exercé comme avaleur de sabres, et non comme rondeur de fumée. Nous vous recommandons lors de futures postulations, de prêter plus d’attention à la cohérence du CV et de la lettre de motivation. 
Jean-Marie 

***** 

médiateur dans les disputes entre joueurs de pétanque

Monsieur,

Suite à votre annonce parue dans les échos du 12 septembre, je me permets de solliciter le poste de médiateur dans les disputes entre joueurs de pétanque.
Bien que parisien, je n’en fréquente pas moins, depuis de nombreuses années, quelques colonies de méditerranéens adeptes de ce sport. Je dis ce sport, car, bien qu’il ne soit pas représenté aux jeux olympiques, je puis vous assurer qu’au cours de ma longue carrière de bouliste, j’ai vu de nombreuses parties s’agrémenter de sauts en hauteur et de courses poursuites pour, parfois, se conclure en match de boxe.
Je possède un grand sens de la négociation, avec les personnes têtues, entêtées et dotées de cette typique mauvaise foi qui pousse à l’hystérie le plus paisible de nos concitoyens, particulièrement lorsque son haleine a quelque parfum anisé.
Dans le cas où, mes propos conciliateurs ne parviennent pas à apaiser les protagonistes, j’utilise mes arguments les plus persuasifs :
Je mesure 1.92m, pèse le quintal et suis champion de kick-boxing.
Je puis vous assurer que, l’ayant déjà testé dans d’autres circonstances, ne serait-ce que pour une demande d’emploi, c’est un argument des plus persuasifs.
Etant persuadé que ma candidature retiendra toute votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

Pierre

Monsieur,

Suite à votre annonce parue dans les échos du 12 septembre, je me permets de solliciter le poste de médiateur dans les disputes entre joueurs de pétanque. Bien que parisien, je n’en fréquente pas moins, depuis de nombreuses années, quelques colonies de méditerranéens adeptes de ce sport. Je dis ce sport, car, bien qu’il ne soit pas représenté aux jeux olympiques, je puis vous assurer qu’au cours de ma longue carrière de bouliste, j’ai vu de nombreuses parties s’agrémenter de sauts en hauteur et de courses poursuites pour, parfois, se conclure en match de boxe. Je possède un grand sens de la négociation, avec les personnes têtues, entêtées et dotées de cette typique mauvaise foi qui pousse à l’hystérie le plus paisible de nos concitoyens particulièrement lorsque son haleine a quelque parfum anisé. Dans le cas où, mes propos conciliateurs ne parviennent pas à apaiser les protagonistes, j’utilise mes arguments les plus persuasifs : Je mesure 1.92m, pèse le quintal et suis champion de kick-boxing. Je puis vous assurer que, l’ayant déjà testé dans d’autres circonstances, ne serait-ce que pour une demande d’emploi, c’est un argument des plus persuasifs. Etant persuadé que ma candidature retiendra toute votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées. Pierre Monsieur,

Votre lettre a retenu toute notre attention, car nous recherchons une personne impressionnante physiquement, plus terrorisante que diplomate. À vrai dire, ce n'est pas d'un médiateur que nous avons besoin mais d'un gorille, une armoire à glace, un dur, un tatoué, avec un visage cabossé, des pectoraux d'acier, et si possible africain ou serbo-croate, pour que l'interlocuteur n'ose même pas ouvrir la bouche. Toutes choses que nous ne pouvions pas indiquer clairement dans notre annonce pour ne pas risquer un procès en discrimination. 

Vos services ne seront pas requis pour apaiser les conflits entre nos joueurs ; ils ont l'habitude de la castagne, ça fait partie du jeu. Non, votre véritable objectif sera de convaincre Paulo-les-gros-bras de ne pas réclamer les 70.000 euros qu'il a prêtés à notre club il y a deux ans. Paulo s'impatiente. On peut le comprendre, seulement voilà, cet argent a servi à rembourser Yves-le-teigneux qui nous avait dépannés après l'affaire de la cocaïne dans le cochonnet — vous avez peut-être eu vent du début de scandale, habilement étouffé par Yves. Bref, des 70.000 euros il ne reste rien, nada, et Paulo va bien devoir s'y faire. 

C'est là que vous entrerez en scène. Si vous êtes aussi terrifiant que votre photo le laisse supposer, vous saurez lui faire entendre raison. Et pour votre salaire, pas d'inquiétude : il nous reste deux cochonnets remplis de coke. 

Cordialement,

Pitou-l'embrouille 
Président du club "Les boulistes sans peur et sans reproche".
(Vanessa)


À partir d'une photo




Trop facile

Pourquoi toujours ailleurs. Pourquoi dérangé, déboussolé par cet autre qui n’a rien de plus que moi : un visage anodin, des cheveux raides, des habits conventionnels, un corps ordinaire … D’où lui vient cette vitalité, ce magnétisme, cette sureté en soi alors que la mienne se brise au premier grain de sable, à la première rebuffade, voire même à une simple question ? 

Je l’ai croisée devant moi dans le RER, entourée de sa bande de copines et de copains. Riant, plaisantant, solaire, alors qu’elle n’a rien d’extraordinaire, qu’elle n’est peut-être rien. 

Tout comme était autrefois mon frère, conquérant, sans vergogne même après ses plus grosses bêtises, toujours en avance d’une histoire drôle ou d’une pirouette. Il m’a volé mes parents ! 

Et pourtant, je sais que ce qui est en moi est précieux. Mais pour qui, pour quoi ? 

Jean-Marie






Oui Monsieur, oui Monsieur, même si je n’en ai pas l’air, oui, Monsieur, je suis un play-boy !!! 
Et ceci depuis mon adolescence, depuis que je suis resté figé dans mon fauteuil, au cinéma, le Gaumont Palace de Lamotte Beuvron, en admirant Brando, le grand Marlon, dans l’Equipée Sauvage. Dès lors, mon seul but, ma seule ambition fut d’être, comme lui, un type à la moto, craint par les hommes, admiré par les femmes. 
Et voilà où j’en suis aujourd’hui. 
Ah, évidemment, je n’ai pas vraiment le look de mon héros et ma mobylette est bien loin de l’énorme Harley-Davidson de mes rêves, mais il n’en reste pas moins qu’elle est bien suffisante pour promener ma poule…
Pierre 





Le dégât des eaux 

Il y avait un sérieux problème de plomberie dans cet appartement, Elise l'avait remarqué dès sa première visite ; mais à Paris, on n'a pas trop le choix. Elle avait signalé le problème à l'agence lorsqu'elle avait signé le bail. Bien sûr, rien n'avait été fait ; et le premier dégât des eaux avait eu lieu six mois plus tard. 
 — C'est votre tuyauterie, elle date d'au mins cinquante ans, avait dit le plombier. 
Elise avait écrit à l'agence, sans succès. 
L'année suivante, deuxième dégât des eaux. Un tuyau fuyait sous la baignoire. 
— Vous devriez faire changer tout ça, avait dit le voisin d'en-dessous. Quand vous prenez une douche, tout le monde est mouillé chez nous. 
Elise avait de nouveau contacté l'agence. Silence radio. 
Elle ne fut donc pas surprise quand eut lieu le troisième dégât des eaux. Une flaque se forma dans la cuisine, et au même moment une autre flaque apparut dans la salle de bains. Elle les vit s'étendre, se rejoindre dans son salon, et continuer d'enfler. Fataliste, Elise ôta ses chaussons, grimpa sur la machine à laver, et appela l'agence. 
Autour d'elle, l'eau montait toujours.

Vanessa




Un caniche dans les alpages 

Il avait toujours rêvé d’avoir un caniche, un de ces animaux ridicules tondus de la tête à la queue. 
Il n’en avait jamais parlé à personne : quant on est un petit berger, chargé de gérer un troupeau de quarante bêtes, on tient à sa réputation. 
C’est tout juste si, de loin en loin, il se permettait de tondre une de ses bêtes de manière fantaisiste. On mettait ça sur le compte de l’alcool, de la solitude de l’alpage, et du manque de sommeil propre au métier. 
Tout bascula le jour où son employeur acheta un authentique caniche à prix cassé pour garder les moutons, au lieu du traditionnel berger des Pyrénées. Que voulez-vous, avec la concurrence du mouton espagnol, on fait ce qu’on peut pour se ménager une marge bénéficiaire ! 
Le berger détala immédiatement avec le caniche à Venise en voyage d’amour. 
Si on le retrouve un jour, on lui fera avaler sa tondeuse.

Eric

Mercredi atelier n°1


Proposition n°1 : Cadavre exquis 

- sujet,
- verbe,
- complément d’objet
- complément circonstanciel, ou adverbe, ou autre précision.

Proposition n°2 : Une annonce inattendue 

Écrire une lettre ou un discours, dans lequel un personnage annonce quelque chose d'inattendu à son auditoire.

Proposition n°3 : À partir d’un inducteur 

« L’ascenseur est en panne, comme d’habitude. »

Quelques textes du 1er mercredi


Cadavre exquis


Un nuage bleuté entérine des insultes graves envers les patrons à 19h30. 
Le voisin chantait une autruche multicolore aveugle avec outrecuidance. 
La ville endormie déménageait ce livre interminable en face de la gare.
Noémie a décoré son beau bureau hier soir dans le métro. 
Le petit bonhomme en mousse avale une petite bouteille dans la marmite. 
Une orchidée blanche et rose contemple avec délectation un éventail chinois avec affection. 
La grosse souris de Mémé espère deux jaunes d'oeufs tout crus du cul de la poule. 
Le chapeau à plume a cassé l'ordinateur tout en conservant son humour.

Une annonce inattendue 


Chère Maman, cher Papa,

Voici bientôt dix ans que j’ai commencé mes études de médecine : dix longues années durant lesquelles vous m’avez soutenu financièrement, encouragé dans mes moments de doute, et alors que j’étais prêt à abandonner, consolé quand Sylviane m’a quitté car je travaillais trop. Vous avez tout pardonné : mes colères, mes passages en coup de vent, mes « non, désolé, je ne dîne pas ici ce soir » au moment de passer à table, mes blouses d’interne tachées de sang, les coups de téléphone des camarades à trois heures du matin. Vous vous êtes même sacrifiés pour pouvoir financer ces interminables années d’études, que ce soit en renonçant aux deux mois de vacances annuels au Maroc dont vous rêviez une fois à la retraite, ou encore en revendant les parts de l’entreprise d’oncle Maurice alors que celle-ci était en plein essor économique. Même le buffet de Mamie Georgette -que pourtant tu aimais tant Maman- n’a pas fait le poids devant ma dernière année d’internat. Eh bien, aujourd’hui, mes chers parents, je peux vous annoncer que tous ces sacrifices n’ont pas été vains : je suis en passe de devenir un brillant chirurgien, reçu à ma thèse de doctorat avec les félicitations du jury, déjà courtisé par les plus éminents chirurgiens en vue de m’associer avec eux. Pourtant, l’avenir appartient-il à celui qui charcute des foies alcoolisés, des poumons intoxiqués, des cœurs essoufflés, des reins calculés, ou encore des intestins emmêlés ? Non bien sûr, et avant de commettre l’erreur de m’engager dans la voie du soin à l’hôpital public, j’ai pris le temps de la réflexion…

Vous êtes ainsi les premiers à qui j’annonce la grande nouvelle : je pars à l’étranger. Oui, je sais, c’est dur, mais ce n’est que là-bas, en Bulgarie plus précisément, que je pourrai mettre mon talent au service de détaillants d’organes officiant dans des cliniques privées. Non seulement les organes prélevés seront sains, mais en plus ils seront destinés à des patients qui en auront vraiment besoin ! Quelle satisfaction !

Sans compter qu’avec les bénéfices tirés de cette activité, je pourrai vous rembourser au centuple les dépenses que vous avez engagées pour moi. J’imagine déjà les sourires poindre sur votre visage et je ne doute pas que vous partagerez ma joie.

Je vous aime,

François (Hélène) 



*******


Françaises, Français, 
Beaucoup d’entre vous se demandent la raison de cette soudaine allocution télévisée. 
Rassurez-vous, il n’est pas question de durcir l’état d’urgence, la seule urgence étant l’état de nos finances, qui, si on y réfléchit un tant soit peu, est à l’origine de tous nos problèmes. 
Que mes potentiels adversaires aux prochaines élections ne prennent pas leurs airs les plus outragés, non, je ne mobilise pas la télévision publique à des fins personnelles, non, vous n’aurez pas à décompter cette intervention de mon temps de parole et je vais vous expliquer pourquoi. 
Moi, président, comme tout homme ordinaire, je veux dire par là, normal, si toutefois il existe une quelconque normalité dans notre foutu monde politique actuel, et bien, disais-je, comme tout homme normal, il m’arrive de me poser des questions. 
Et, ce matin, donc, comme tout à chacun, en me rasant, j’ai fait le bilan de ces quelques années passées ensembles, afin de savoir si j’allais me représenter à la prochaine présidentielle. 
Oh là là !!!... 
Déjà, il me faut bien le reconnaitre, je n’ai pas l’impression que vous m’appréciez beaucoup. Quelques soient les efforts que je fasse, les sondages me créditent de moins en moins d’avis favorables. Je devrais dire me discréditent, tant mon impopularité est croissante. 
Ensuite, lorsque je me tourne vers les gens de mon parti, j’en surprends quelques-uns, et ils sont nombreux, fins prêts à me planter un couteau dans le dos, voire à me passer sur le corps. 
Que dire de tous ces ténors de l’opposition qui tirent sur moi, par un feu nourri, en regrettant toutefois que ça ne soit pas à balles réelles. 
Mais, me direz-vous, nous connaissons tout ça, ce n’est pas une nouveauté, où veut il en venir ??? 
Eh bien à ceci… 
Je suis lassé de toutes ces critiques pleines de fiel d’où qu’elles viennent, de droite, de gauche, des cadres, des ouvriers, des gens d’ici, des gens d’ailleurs et j’en passe. 
J’en ai ras le bol de m’éreinter à essayer de contenter des veaux tels que vous, ça ce n’est pas moi qui l’ai inventé, veaux, qui de toute façon ne seront jamais contents. 
En plus, j’en ai par-dessus le casque d’être obligé de me déguiser en motard pour aller voir ma Chérie, et comme je ne veux pas avoir les mêmes problèmes qu’avec la précédente, voilà ce que j’ai décidé. 
Vous allez tous, à droite comme à gauche, faire vos primaires fissa-fissa. 
Vous allez avancer la date des présidentielles au plus vite. 
Non, je ne suis pas candidat aux primaires ! 
Non, je ne suis pas candidat à la présidentielle ! 
Non, je ne participerai pas à cette nouvelle foire d’empoigne qui, vu le nombre croissants de gladiateurs, va probablement se finir dans l’arène, qu’elle soit médiatique ou pas. 
Moi, je fous le camp, me mettre les doigts de pieds en éventail sur des plages paradisiaques et ceci, pas plus tard que ce soir. 
Alors, Julie, prépare les valises, l’avion décolle dans une heure et, que le meilleur gagne. 

Pierre 



À partir d’un inducteur 


 « L’ascenseur est en panne, comme d’habitude. » 

L’ascenseur est en panne, comme d’hab. !!!... 
Allez hop, crapahute de six étages… 
Quel crétin ce dépanneur, je vais encore cracher mes clopes… 
Quand je pense qu’avant, quand je bossais, je te les montais en deux temps, trois mouvements les six étages… 
Toujours pressé, quelle belle excuse pour éviter la papote avec les voisins : 
- La Mémé au toutou du premier 
- La grande famille du second 
- le bègue du troisième 
- Le sportif du quatrième et bien sûr, 
- Le connard du cinquième. 
Non mais, quelle promiscuité !!!... Alors, les escaliers quatre à quatre et j’évitais tout ça… 
Ah, aujourd’hui, c’est un peu différent, je m’arrête à chaque étage, avec un petit mot pour chacun et une longue halte au troisième, le temps qu’il finisse sa phrase... 
Il semblerait que je devienne bien plus social avec l’âge… 
Pierre



L’ascenseur est en panne, comme d’habitude. J’avais entendu des pas sur le palier du 6ème. Je criai un peu plus fort : « L’ascenseur est en panne, comme d’habitude !! » Et c’est alors que mon stupide voisin entonna la stupide chanson de cet imbécile de Claude François et se mit à hurler sur le palier « Comme d’habituuuuuuuuuuuudeuuuuu ! ». 
Je n’avais vraiment pas de chance, le seul qui m’avait entendu alors que j’étais coincé depuis 10 minutes entre deux étages était Stéphane Lemarchand, un gars ordinaire mais totalement bipolaire, et qui manifestement traversait en ce moment-même une période d’exaltation intense. Avait-il saisi la gravité de la situation ? Apparemment non, car il continuait à chanter à tue-tête sur le palier. Mais pourquoi, me direz-vous, n’appuyé-je pas sur le fameux bouton d’alarme présent dans tous les ascenseurs du monde et destiné à être pressé précisément dans ce genre de situation ? Eh bien, je l’ai fait, mais le technicien de maintenance a dû se tromper en programmant le numéro de téléphone, car c’est avec effroi que j’ai entendu, après avoir justement enfoncé le bouton prétendument salvateur : « Vous souhaitez converser avec Olga, tapez 1 ; avec Sabrina, tapez 2… ». Et quand je pense que mon option numéro 3 s’appelle Stéphane Lemarchand, siphonné bipolaire… La journée commence bien… 

Hélène