Monosyllabes
Bref itinéraire d’un terroriste kamikaze au moment critique
(en monosyllabes distinguées et choisies)
Cinq, quatre, trois, deux, un…
BOUM !
Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, a…
Pin-pon, pin-pon, pin-pon.
“Mort ?”
“Oui.”
“Main ?”
“Oui.”
“Pied ?”
“Oui?”
“Tête?”
“Bof…”
Eric
*****
Oh, mon bon, ton thon est long ! Quand l’as-tu pris ? Ah non, je ne te le dis pas, je ne le peux pas.
Patrice
*****
Et toc! fit-il tout fier, et même fier à bras.
Je suis le roi du monde, le plus beau, le plus grand, le plus riche!
Et le plus con, lui dit-on.
Oui, mais riche!
Vanessa
Le personnage
Monsieur Arsène était arrivé à la caserne par erreur. Il avait crû entrer au Séminaire. Le capitaine l'a remis dans le droit chemin.
Chemin faisant, Monsieur Arsène s'est souvenu de la fois où il s'était trompé d'étage et s'était retrouvé chez la cartomancienne. Il ne voulut pas connaître son avenir. Madame Irma en fut tourneboulée.
La distraction de Monsieur Arsène était congénitale. Ses parents avaient mis du temps à se souvenir de sa présence parmi eux. Il avait vécu ainsi en solitaire et cela l'avait fait songer au Séminaire.
Mais le jour où devait être célébrée son ordination, il était parti à l'aube courir les rues, fendre les flots, battre la campagne.
La vie d'ermite pour Monsieur Arsène n'était pas un but en soi. Autant il appréciait le calme, autant la parole lui manquait. Il décida de se faire embaucher comme gardien de zoo.
Il lui sembla dès lors qu'il avait trouvé, chez les animaux, matière à échanger. Souvent le responsable du zoo le surprit à caqueter, feuler, bramer, cacarder, meugler, cancaner. L'idée vint au responsable d'en faire une attraction inédite dans le zoo : L'homme qui parle aux animaux. Monsieur Arsène devint ainsi un animal de plus, capable de parler autant de langues animalières que de pensionnaires du zoo.
Intérieurement, Monsieur Arsène se remémorait les joies et les peines vécues. Ce qui le chagrinait, c'était de n'avoir pas trouvé âme-soeur et ce n'était pas au zoo que cela allait se produire.
Mademoiselle Julie s'en aperçut. Elle était hôtesse d'accueil au zoo.
Ils ont disparu sans crier gare.
Jacques-André
Je vis ce jeune homme qui boitait.
Que lui était-il donc arrivé ?
Nul ne le sait apparemment.
Faut-il donc lui imaginer une brève biographie ?
Pourquoi pas ? Porque no ? Why not ? Warum nicht ?
À cinq ans il allait seul à l’école et traversait les rues sans regarder.
Un jour il fut renversé par un vélo. Le cycliste ne s’arrêta même pas et l’enfant, inconscient, resta seul pendant plusieurs minutes avant qu’un passant appelle les secours.
L’enfant fut transporté à l’hôpital.
Les parents ne furent avertis que quand la directrice de l’école fut mise au courant de l’accident.
Souffrant d’une fracture au bassin, il demeura trois mois à l’hôpital sans pouvoir bouger.
Les séquelles de cet accident furent son incapacité à marcher pendant trois ans.
Après une rééducation longue et pénible, les choses revinrent peu à peu à la normale. Enfin... presque, puisqu’il boite toujours à 17 ans et ne pourra probablement jamais courir.
Triste histoire.
Imaginons donc son avenir.
Du fait de son manque de mobilité, il passa beaucoup de temps assis et en profita donc pour être un élève assidu et brillant.
Il finit par développer son imagination dans l’écriture et devint un romancier spécialisé dans les livres pour la jeunesse.
Après dix ans d’expérience dans ce domaine, il devint un écrivain très prolifique et connut un succès croissant jusqu’à obtenir le prix Goncourt. Puis, à 50 ans il obtint le prix Nobel.
Patrice
À partir d'une dernière phrase
L'hypermarché battait son plein. Les rayons avaient été remplis minutieusement, les guirlandes égayant chacun d'eux, le personnel travaillait comme ouvrières dans une ruche, le directeur contrôlait chaque détail. L'ensemble faisait oublier la couleur blafarde habituelle du magasin pour en faire un pays des Mille et une Nuits féérique où les boules scintillantes, les mille jeux de lumière donnaient une ambiance chaude. Le directeur avait d'autant plus tenu à cette débauche qu'il avait décidé de coupler les fêtes de fin d'année avec le 10e anniversaire du magasin. Quel plaisir de voir les montagnes de peluches géantes, les multiples jeux électroniques, les tonnes de denrées et toute cette lumière. Partout. Le directeur avait tenu – montrant l'exemple – à ce que chaque membre du personnel fût revêtu d'un habit de lumière clignotant.
Il avait mis en scène l'arrivée des clients. Chacun était à son poste, clignotant, qui pour renseigner, qui pour guider ou orienter un choix, qui pour répondre aux récriminations qui ne manquaient jamais en pareille occasion. Il avait décidé l'heure de l'ouverture des portes, exceptionnellement fixée à 10 heures, soit une demi-heure plus tard qu'en horaire normal, histoire de faire saliver un peu plus les futurs acheteurs.
Le personnel percevait, à l'approche de ladite heure, un mouvement de houle à l'extérieur. Des cris, des rires, des impatiences, un peu d'hystérie. Une minute avant l'ouverture des portes, celles-ci furent débloquées prestement afin de laisser place à la horde. Les gens s'arrêtèrent dans leur précipitation, éblouis par autant d'ordre et de lumière. Passé ce moment, les rayons furent dévalisés, les caddies bondés, le personnel atterré et blasé, le directeur satisfait.
Le grand sapin central, juste censé évoquer la fête prochaine, imposait par sa taille et le luxe de son éclairage. Les enfants lui firent d'abord la fête avant d'en faire leur défouloir, leur souffre-douleur. Ils le pillèrent, tirant les guirlandes, cassant les branches, s'en servant de toboggan, tant et si bien qu'il chut.
Le grand sapin s'est couché d'un coup, explosant de partout, chaque source de lumière devenant source d'incendie – lequel se répandit très vite, créant une scène de folie au milieu des flammes.
Dehors, il n'avait jamais fait aussi froid.
Jacques-André
*****
Un matin de janvier, Alfred s’éveilla avec une migraine jamais connue jusque là. Dans son crâne, des petites bombes explosaient et provoquaient d’intenses douleurs dans ses oreilles.
Ses yeux ne pouvaient s’ouvrir et ses tempes vibraient comme sous l’effet d’un tremblement de terre.
Il se passa la main sur le front et la retira brutalement, comme s’il avait touché un fer à repasser brûlant. Il comprit alors qu’il avait une fièvre de cheval.
Il esquissa un geste pour se lever mais se rendit vite compte qu’il en était bien incapable.
Qu’allait-il faire ? Il devait absolument aller à son bureau car il avait aujourd’hui un rendez-vous professionnel très important avec son PDG dont dépendait la suite de sa carrière. Il s’agissait de son entretien annuel d’évaluation.
S’il appelait son patron pour lui expliquer qu’il ne pourrait pas être présent aujourd’hui, il était certain que celui-ci considèrerait cette absence comme un mauvais prétexte pour échapper à cet examen de compétence.
Il regarda sa montre et prit alors conscience qu’il n’avait pas beaucoup de temps devant lui. Il fit donc un effort surhumain, parvint à s’asseoir dans son lit, posa ses deux pieds par terre, se mit debout en titubant, marcha difficilement jusqu’à la salle de bains où se trouvait l’armoire à pharmacie, prit un aspegic, alla dans sa cuisine, but un jus d’orange pour ingurgiter un peu de vitamine C, se fit un café, mangea la demi-baguette rassie qui restait d’hier.
Il se traina ensuite dans sa douche, se força à affronter l’eau chaude et se savonna.
Quand il eut fini de se pomponner et de s’habiller, il se décida enfin à partir, non sans avoir endossé un gros manteau.
Il appela l’ascenseur et ouvrit la porte qui donnait sur la rue. A travers cette porte vitrée, il put constater que la rue était couverte de neige.
Quand il se résolut enfin à l’ouvrir, il se rendit compte que dehors, il n’avait jamais fait aussi froid.
Patrice
Plus jamais il ne lui dirait d’aller changer les couches de l’enfant, c’était fini, elle allait partir.
Elle décida de ne rien emporter avec elle, à l’exception du seul objet qui lui tenait à cœur : son balai de sorcière.
Elle croyait déjà sentir l’instrument de son salut se cabrer sous elle tandis qu’elle s’envolait dans le clair azur hivernal, laissant pour pour toujours derrière elle la vie domestique.
Elle alla le chercher dans le réduit où il reposait, au fond d’une armoire en fer, dissimulé parmi les produits et outils ménagers.
Du moins, c’est ce qu’elle croyait : elle eût beau remuer les pelles à ordures, les brosses, les lessives, les serpillères, les chiffons à poussière, elle ne le trouva pas. C’était comme si il était tombé en poussière lui aussi !
Elle entendit alors un doux ronron mécanique à l’étage, auquel elle n’accorda sur le coup aucune attention, jusqu’au moment où elle réalisa, avec un frisson d’horreur, de quoi il s’agissait.
Elle remonta l’escalier, raidie par l’appréhension, et tomba effectivement sur Albert, la clope en berne, qui testait, ainsi qu’elle le redoutait, un engin dernier cri sur le parquet du salon.
« Ginette, je sais que nous ne sommes pas proches dernièrement », lui dit-il avec un sourire timide. « Le gamin te prend tout ton temps. C’est pourquoi j’ai jeté ton vieux balai à la décharge, pour t’offrir ce bel aspirateur, en avance sur Noël : ça te libérera un peu… »
Il ne comprit jamais pourquoi sa femme fondit soudain en larmes, en regardant avec désespoir, à travers la verrière, le ciel hivernal désormais à jamais hors d’atteinte.
Dehors, il n’avait jamais fait aussi froid.
Eric