Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 6e atelier


Animaux en acrostiches


Flamboyante est ma couleur
Long est mon cou
Allumettes, telles mes pattes
Magnifique ! diront certains
Affectueux avec mes congénères… et les humains !
Ni blanc, ni rouge
Tintamarre extraordinaire font nos cris !

Roseau, derrière lequel je m’assoupis
Oh, regardez comme je suis beau !
S’endormir sur une patte, quel plaisir
Ensemble, tous regroupés nous vivons
               Hélène

Caractériel
Hargneux
Antipathique
Mammifère double bossu
En marche dans le désert
A ne pas confondre avec son cousin à la bosse
Unique.
               Vanessa

Tapie à l’
Ombre des
Rosiers la
Tortue Herman émet
Un soupir de contentement
En savourant une fraise juteuse
               Marie-Agnès


Histoire d'une rencontre 


Aurore MATIN, crémière et Jean-Paul BOUDIOU comptable chez LANQUETOT (camemberts)

Aurore MATIN s’est toujours levée tôt, aussi, c’est fort naturellement qu’elle s’est accommodée des horaires décalés imposés par son métier de crémière. 
Partir aux aurores à Rungis, garnir sa camionnette de divers produits laitiers choisis avec soin pour ses clients germanopratins sélectifs, ouvrir sa boutique re-décorée aux critères bobos, vendre avec passion et rentrer chez elle épuisée, mais heureuse, telle est sa vie industrieuse. 
Dans celle-ci, peu de place au romantisme, son engagement dans la fromagerie mobilisant tous ses investissements, Aurore devient une petite souris de l’amour. Néanmoins, si son affaire tourne bien, elle se rend progressivement compte qu’un de ses fournisseurs lui facture ses camemberts à des prix dont un producteur de caviar n’aurait pas à rougir. Outrée, elle contacte l’entreprise afin d’éclaircir cette anomalie. Affrontant bravement les méandres administratifs de LANQUETOT, elle est finalement orientée auprès de leur comptable, Jean-Paul BOUDIOU. 
Aurore est immédiatement troublée par la voix grave et suave de son interlocuteur, à tel point qu’elle ne comprend pas un traitre mot de la démonstration chiffrée de celui-ci. 
Afin de débloquer la situation, un échange de courriels débute. D’abord factuel, puis littéraire, une passion épistolaire se noue, dépassant allégrement le motif initial de la correspondance. 
Chacun se livrant peu à peu, curieux de découvrir l’autre, le projet de se rencontrer se dessine. Jean-Paul BOUDIOU expédie à Aurore MATIN un camembert, série limitée spéciale Saint-Valentin, en forme de cœur. 
Ils conviennent de se rencontrer autour d’un bon cidre normand pour savourer ce fromage. 
L’épreuve de réalité ne les déçoit pas. La magie opère, le coup-de-foudre a lieu et depuis lors, Aurore et Jean-Paul ne se quittent plus, alliant passion des produits laitiers et passion amoureuse. 
Marie-Agnès


Béranger Buenaventura, joueur d’échecs professionnel et Eléonore Kasiveski, programmatrice

Béranger Buenaventura sirotait tranquillement sa vodka-Martini au bar de l’hôtel « Le Petrovka ». Il avait atterri à Moscou en début d’après-midi, où devait se tenir le 17ème tournoi international d’échecs, réunissant les plus grands joueurs professionnels. Il se préparait mentalement et s’entraînait quotidiennement depuis bientôt trois mois, et nourrissait le fol espoir de mettre enfin un terme à la carrière de cet insupportable et présomptueux Garry Kasparov.
Il était tellement absorbé par ses pensées qu’il ne vit pas entrer dans le bar une femme somptueuse, dont la magnifique robe moulant ses formes voluptueuses n’avait d’égal que sa longue chevelure rousse caressant ses épaules subtilement dévoilées. Elle s’approcha du comptoir et commanda au serveur, envoûté par sa beauté, un Cosmopolitan. Ce n’est que lorsqu’elle fit tomber, par mégarde penseront les plus naïfs, son sac à mains aux pieds de Béranger Buenaventura, que celui-ci sortit de sa rêverie. Il posa, enfin, son regard sur cette femme qui avait laissé pantois tous les hommes présents au bar de l’hôtel. « Je m’appelle Eleonore Kasiveski, lui dit-elle, sans autre préambule. Puis-je vous offrir un verre ? ». Béranger Buenaventura n’en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles. Lui, le célibataire endurci, au charme discret mais ne laissant pas indifférent, qui n’avait jamais envisagé ni même souhaité tomber amoureux, le voici qui chutait avec délice dans le regard d’Eléonore Kasiveski et décidait de s’y abandonner pour, s’il le fallait, ne jamais revenir. 
Que pouvait-elle faire dans ce bar du très chic hôtel « Le Petrovka », où les participants du tournoi d’échecs, lesquels étaient reconnaissables à leurs traits tirés, leur front ridé et leur teint blafard suite aux heures d’entraînement passées dans des salles sans fenêtre, constituaient l’essentiel de la clientèle ? Etait-elle directrice d’une grande marque de luxe ou mieux, imaginait-il tandis qu’un frisson lui parcourait les reins, d’une marque de lingerie féminine ? Non, sa beauté était trop éclatante, enivrante même, elle ne pouvait être que mannequin, ou actrice…
Il se présenta brièvement, décidé à éclaircir rapidement le mystère. « Béranger Buenaventura. Je suis joueur d’échecs professionnel. Je suis à Moscou afin de participer au tournoi international. Et vous, quelle est la raison de votre présence à Moscou ? ».

« Je suis programmatrice, répondit-elle, de façon froidement professionnelle. Ma société m’a envoyée à Moscou pour assurer la maintenance, les tests et la sécurité des logiciels nécessaires à l’entraînement des joueurs tels que vous durant ce tournoi. »
Hélène


Tiphaine CAMUS, restauratrice et Paul SAKOUPOU, jardinier 

Le jour où Tiphaine est sortie de sa cuisine et nous a lancé "Les gars, je me marie", on est restés sans voix. Nous, les habitués, les indéboulonnables, les piliers du Café de la Gare, fidèles au poste dès midi, encore attablés à 15h, nous qui attendons chaque matin de lire le plat du jour qu'elle inscrit sur la vitre, pour le goûter quelques heures plus tard et le commenter tout l'après-midi, nous qui récitions des blagues salaces sans penser à mal pour le plaisir de nous faire engueuler, nous qui pensions qu'on vieillirait ensemble, elle et nous, la restauratrice et les vieux garçons, nous ne l'avons pas crue. 
- Qu'est-ce que tu racontes Tiphaine? Tu perds pas boule. Qui tu veux épouser, dans ce bled ? 
Elle a rougi, et là, en voyant son visage mûr se rajeunir d'un coup, on a compris que c'était vrai. 
- Vous vous rappelez quand il y a eu les travaux sur la grand-place ? 
- Ben oui, et alors, tu veux marier le chef de chantier, le gros barbu ? 
- Non, pas lui. Le mien c'est Paul, le petit brun qui a refait le jardin après les travaux. 
On s'est regardés, et ça nous est revenu. Les gars du chantier étaient venus manger quelquefois. Et le petit jardinier, un peu plus jeune, un peu moins poivrot, un peu plus joli que nous, oui, on le remettait. Il avait dû revenir le soir, après la fermeture du restaurant. Soudain, on comprenait que Tiphaine avait toute une vie inconnue de nous, quand on ne l'avait pas sous les yeux; quand elle ne nous faisait pas la cuisine, qu'elle ne prenait pas un verre avec nous après son service, qu'elle ne faisait pas la vaisselle ou le ménage. Une vie sans nous, loin du restaurant, une vie dans laquelle s'était glissé le petit jardinier.
Après un silence, le temps pour nous d'absorber la nouvelle, Jean a demandé : 
- Et tu vas t'appeler comment, alors ? 
- Sapoukou, a répondu Tiphaine. 
On a éclaté de rire, on ne pouvait pas s'empêcher. Tiphaine a ri avec nous. Notre Tiphaine, notre cuisinière et complice, Tiphaine Camus, qui allait devenir Sakoupou. 
Vanessa 


Il n'est pas venu / Elle n’est pas venue 


Gaëtan Ecrémé, producteur de beurre d’Echiré n’est pas venu ce matin livrer Aurore. 
Elle s’en étonne, le sérieux et le dévouement habituels de Gaëtan n’avaient jamais failli jusqu’à présent. Elle en est d’autant plus contrariée que le beurre d’Echiré constitue un des produits phares de sa crémerie et qu’elle est toujours ennuyée de décevoir sa clientèle. 
La matinée s’écoule avec sa routine structurante, mais Aurore ressent une inquiétude : qu’a-t-il pu arriver à ce jeune homme discret et, lui avait-il semblé, particulièrement zélé à son endroit ? 
Elle s’amuse néanmoins de constater que depuis la publication des bans pour son mariage avec Jean-Paul, elle revisite son passé et observe qu’à côté de son activisme professionnel, elle n’avait pas perçu que certains hommes, le boulanger en étant un autre exemple finalement, s’intéressaient à elle. 
Aurore a toutefois la surprise de recevoir par le facteur un colis réfrigéré. Elle ouvre la boîte et découvre un cœur brisé en beurre d’Echiré dans lequel sont gravés ces mots : « Adieu, Gaëtan ». 
Maris-Agnès 


Lorsqu’elle reçut l’invitation au mariage de Béranger avec cette Eléonore Kasiveski, elle jeta le carton à l’autre bout de la pièce avec fureur. Que Béranger en épouse une autre la rendait folle, d’autant plus que la future épousée était, disait-on, la plus éblouissante et resplendissante des programmatrices qui pût exister.

Bien évidemment, elle ne se rendit pas au mariage. Inutile de jouer les hypocrites avec cette garce qui avait certainement séduit Béranger à coup de « Je te créerai un programme personnalisé de très haut niveau pour ton prochain tournoi, mon fou préféré ! ». La seule reine de Béranger, c’était elle, et certainement pas cette pimbêche. 

Et si je lui envoyais un mail de félicitations infesté par un méchant virus, se dit-elle. C’est tout ce qu’elle mérite comme cadeau de mariage !
Hélène


Il n'est pas venu. Il n'a pas pu. Il n'aurait pas supporter de voir Tiphaine toute rosissante devant Monsieur le Marie, échangeant une alliance avec un p'tit gars qu'on ne connaissait pas. Si encore elle épousait un des habitués, Jean, ou Paulo, ou pourquoi pas lui, Albert, qui n'était pas plus poche qu'un autre, après tout. Mais non ; lui, elle ne l'avait jamais regardé comme un homme; juste un client, un fidèle, presque un poteau, mais pas un qu'on épouse. Lui non plus, il ne la voyait pas tout à fait comme une femme, et c'était très bien comme ça. Mais depuis le jour où elle avait annoncé "je me marie", tout avait changé. Il n'était plus retourné au Café de la Gare. À quoi bon ? Elle allait le fermer et quitter le village, de toutes façons. Et elle s'appellerait Sakoupou. Il n'était pas allé prendre un dernier plat du jour. Il n'avait pas participé au cadeau collectif. Et il n'était pas venu au mariage.
Vanessa