Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 1er atelier


Cadavres exquis


Le citron vert déterrait des carottes au soleil couchant. 

Le cheval dominait des crapauds dorés avec ravissement. 

Le rayon bleu tambourine une pomme verte terne et livide.

Un jeune homme arrose les coccinelles sans jamais en avoir l'air. 

Le temps regarde des caniches avec circonspection. 

Paul et Virginie observaient les champignons gris dans une cage dorée dont on avait perdu la clé.

Les petits nains envisageaient les noix de cajou d'une manière très chevaleresque. 

Quelques citoyens décortiquent les salsifis avec une pointe d'ail. 

Les artistes cherchent désespérément une issue de secours translucide. 



Faits divers pour presse à sensations

d'après les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon


« Un négociant de Saint-Gaudens surprit à Boussens sa femme enlacée à un barbier. Il tira. L’amant fut blessé ; l’amante s’enfuit. » 

Il était trois heures de l’après-midi, ce mercredi 1er octobre, quand survint le drame dans la petite bourgade de Boussens, poutant réputée pour sa tranquillité. Un peu plus tôt dans l’après-midi, Madame Deschanels, épouse du célèbre négociant de Saint-Gaudens, se présenta à la porte du commerce de Monsieur Tressautin, barbier réputé à Boussens pour sa dextérité à manier le rasoir, simplement vêtue d’un délicieusement transparent déshabillé noir et de porte-jarretelles tout aussi affolants. Monsieur Tressautin, qui n’avait à ce moment-là aucun client entre ses mains agiles, accueillit chaleureusement la dame qui lui aurait alors proposé, selon les propos du barbier recueillis après le drame, de « remettre un peu d’ordre dans [sa] barbe broussailleuse, les barbiers étant vraiment les plus mal rasés ! ». Monsieur Tressautin, d’abord embarrassé par une telle entreprise, et ce d’autant plus qu’il connaissait le tempérament méditerranéen de Monsieur Deschanels, s’abandonna finalement dans les bras de son épouse. Celle-ci lui ôta sa chemise et recouvrit son torse viril d’une douce serviette en coton égyptien avant de se mettre à l’ouvrage, enlaçant de ce fait le barbier de ses bras délicats. 
C’est à cet instant que, prévenu par un voisin curieux, Monsieur Deschanels arriva sur les lieux, fracturant la porte du barbier, et criant à sa femme qu’elle n’était qu’une infernale dévergondée, prête à toutes les bassesses pour se compromettre avec un barbier, de surcroît mal rasé. Le barbier protesta mais n’eut pas le temps de faire la démonstration de son talent car Monsieur Deschanel lui tira dessus avec le revolver qu’il avait habilement caché dans son veston. Blessé à la main droite, ce qui mettra d’ailleurs un terme à sa brillante carrière, il hurlait de douleur dans sa boutique alors que, pendant ce temps, Madame Deschanels prenait la poudre d’escampette par la porte de service, emportant avec elle la chemise du barbier, humble trophée d’un amour contrarié.
Hélène

*

« Plus rien dans les troncs, plus rien sur l’autel aux églises de Bezancourt et de Boult (Marne) : des cambrioleurs ont passé là. » 

Inquiétantes disparitions dans la Marne 
(de notre correspondant local) 

Des cris de désespoir s'élèvent de nos campagnes. Dans l'autrefois riante ville de Bézancourt, le curé est abattu. Cet honnête diacre, à qui toute sa paroisse donnait satisfaction est accablé. Hier encore, entouré de ses dames patronnesses, il pouvait, tel un roi mage, faire des plans sur la comète. Ses ouailles, touchées par la grâce divine, remplissaient les troncs de son église avec indulgence pour assurer leur salut dans l'Au-delà. Avec les sommes qui garnissaient les troncs comme un bon repas garnit le ventre d'un prélat avant son prêche, l'Abbé Rézina s'était imaginé visiter les indigents. Là, il aurait distribué pour soulager leur peine, des bibles ornées de son portrait, quelques tricots fournis par les paroissiennes, et de la nourriture. Il se murmurait même qu'il avait envisagé un petit voyage avec quelques rosières pour les emmener en bord de mer afin de voir l’œuvre du Créateur. 
Hélas, adieux pansements apaisants, adieu voyage exotique à Dieppe, adieu vin de messe au miel. De terribles larrons ont frappé dans Bézancourt. Ne reculant devant aucun sacrilège, cette infernale engeance a pillé les troncs de l'église, a vidé l'autel de son précieux ciboire. L'église sacrée a été profanée. Le bâtiment a été pillé comme une vulgaire banque. 
Leur odieux forfait commis, ce gang vicieux s'est attaqué à l'église de Boult, vidant en quelques instants les troncs qui étaient autant de promesse d'adoucissements pour les nécessiteux les plus méritants. 
L'encensoir, pièce maîtresse de l'autel, a également disparu. Ce chef d'oeuvre d’orfèvrerie servait aux plus éminentes personnalités de la paroisse pour se faire valoir auprès de leurs concitoyens. Le père Poucet, en charge des âmes à Bout, poussé à bout, est aussi tombé en désolation. Il a du ressortir une vieille brosse à reluire pour remplacer son délicat encensoir. 
Heureusement, la maréchaussée déploie des efforts méritoires pour mettre la main sur ces malfaiteurs. Deux suspects seraient déjà arrêtés, grâce à la grande perspicacité policière. Il s'agit d'un homme-tronc et d'un certain Jean Valjean. 
Habitants de la Marne, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, le reste de la bande des pilleurs d'église sera bientôt sous les verrous. 
Manuel

*

« Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera. » 


Une suicidaire récidiviste 

Un drôle de drame s'est déroulé hier rue des Lavandières, dans un quartier tranquille de la Plaine-Saint-Denis. Emilienne Moreau, une charcutière de 52 ans, très appréciée de ses clients, a tenté de se donner la mort en se défenestrant du quatrième étage. Elle a miraculeusement survécu, sa chute ayant été freinée par les étendoirs couverts de linge aux fenêtres du troisième et du premier. Selon les pompiers, elle s'en tire avec deux côte cassées et quelques bleus. 
Le voisinage est sous le choc. Célia, seize ans, dormait paisiblement dans l'immeuble d'en face quand le bruit l'a réveillée en sursaut. "Au début, je n'ai pas compris", nous dit la jeune fille d'une voix tremblante. "J'ai cru que c'était le camion-poubelle. Et puis j'ai entendu des cris, j'ai regardé par la fenêtre..." Elle ne peut en dire plus, terrassée par l'émotion. 
Le plus étrange est que Madame Moreau n'en est pas à sa première tentative de suicide. Il y a deux ans elle s'était jetée dans la Seine, et n'avait été sauvée que par le courage et l'abnégation d'un passant, un peintre en bâtiment du nom de Georges Martin. Nous l'avons retrouvé pour lui faire part de ce nouveau rebondissement. Voici sa réaction. "Ben dîtes donc, si je m'attendais à ça! Alors que j'aurais pu attraper une pneumonie la dernière fois, et voilà qu'elle recommence. y a des gens, j'vous jure..."
Nous avons contacté l'hôpital, mais nous nous sommes heurtés à un mur de silence. Les motivations de Madame Moreau restent, pour l'heure, un mystère. 
Vanessa 


A partir d'un inducteur : « Quand je serai grand »


Dans le monde des créatures fantastiques, il existe un être qui inspire encore plus la terreur que les tous les autres.
La sorcière dans le placard s'est enfuie en croyant qu'il allait passer,
L’ogre a l’appétit coupé quand il en entend parler,
Le Père Fouettard bat sa coulpe plutôt que de le croiser,
Ce monstre s’attaque indistinctement aux petits et grands.
Il se nourrit du chagrin des enfants pour accabler les adultes.
C'est le Kanjsrégran, le monstre qui rappelle aux adultes leurs promesses d'enfants, lâchées dans un moment de découragement.
Le Kanjsrégran se nourrit des injustices faites aux enfants. Ceux-ci, quand ils sont brimés, l'invoquent involontairement :
« Quand je serai grand, je ne mangerai pas de brocolis »
« Quand je serai grand, je serai tout le temps en vacances »
« Quand je serai grand, je me marierai avec ma Maman »
Son apparition, ombre inquiétante, ne calme pas les enfants mais les aveugle sur leur existence actuelle. Le Kanjsrégran ricane et se délecte de cette détresse infantile.
Le Kanjsrégran va s'effacer, laisser la vie insupportable reprendre son cours. Mais il a marqué sa victime. Il va les retrouver des années plus tard, adultes.
Le Kanjsrégran peut se cacher derrière un médecin :
« Mr Dubonnet, vous avez trop de cholestérol, mangez des brocolis »
Le Kanjsrégran se glisse aussi dans la peau d'un banquie
« Mme Leroux, pour vos vacances, ça ne va pas être possible. Il faut retourner travailler »
Le Kanjsrégran remplace même la mort, frappant directement au cœur.
« Mr Kiroul, votre mère vient de décéder »
Quand il approche ses victimes, les multiples visages du Kanjsrégran se fondent dans celui de l'enfance. L'adulte est alors mortifié par un souvenir, chargé de promesses d’antan, désormais intenables.

Voilà pourquoi tous craignent le terrible Kanjsrégran.
Manuel


Quand je serai grand 
j'aurai un nez pointu, j'aurai de grandes dents 
je serai tout velu, je serai très méchant
je mangerai tout crus tous les petits enfants 
qui portent des paniers à leur gentille mère-grand.
Quand je serai grand 
je serai le grand, 
le très grand et très méchant
grand méchant loup. 
Vanessa