Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 9e atelier


Le jeu oulipien ABA


Monsieur Badouba est très gêné car il zozote. 
Il vit — ou supporte plutôt — ce défaut de prononciation depuis sa plus tendre enfance et, malgré sa gêne, n’arrivait pas à se décider à prendre rendez-vous avec un spécialiste. 
Dans le film « Le discours d’un roi », on lui met des billes dans la bouche pour le rééduquer ; ça n’a pas l’air très agréable. 
Pourtant, son zozotement constituait un obstacle de plus en plus embarrassant, surtout avec les femmes. 
Il décida donc de consulter ce célèbre orthophoniste qu’on lui avait tant vanté. 
Hélas, au grand désespoir de monsieur Badouba, le praticien lui indiqua que la seule méthode efficace pour mettre un terme à son zozotement était celle des billes dans la bouche. 
— Si vous n’êtes pas content, gronda le spécialiste, nous n’avez qu’à aller voir ailleurs. Des clients zozoteurs, j’en ai plein. 
Monsieur Badouba claqua la porte au nez de l’orthophoniste, ce qui cassa deux incisives à ce dernier, et sortit de l’immeuble.
Finalement, il a tout lâché. Il se moque du qu’en dira-t-on et se sent mieux.


Robert ferma le journal du 12ème, leva les yeux au ciel et s’écria :
— Ils vont encore construire des logements sociaux !!! Déjà que le quartier n’est pas terrible !!!...
Robert aurait préféré que soit construite une discothèque plutôt qu’un immeuble HLM.
— Oui, enfin, une discothèque… De préférence un dancing, un truc genre "Balajo" ou "Chez Gégene"…
Loretta avait toujours su, au fond d’elle-même, que son Robert n’avait pas su s’intégrer et s’adapter à un quartier populaire.
— Savent même pas s’habiller, toujours en cotes bleues et en canadiennes. Peuvent pas mettre des costumes ces prolos ???
C’était étonnant ce dédain pour le ‘’petit peuple’’, car Robert fréquentait assidument les bals populaires.
— Oui, je sais ! Mais ça, c’est pour l’accordéon et en hommage à Arletty, pour l’atmosphère… Et puis, c’est là que je t’ai rencontré.
— Et bien voilà, tu vois bien…
— Ne t’en fait pas mon Robert, lui dit Loretta en lui enlaçant l’épaule, Les choses finissent toujours par s’arranger.


Enfin ! Jérôme avait fini par vendre cet appartement...
On lui avait conseillé de le "dépersonnaliser", comme sur M6 ; il l'avait donc débarrassé et peint en blanc, et ça avait marché.
En effet, dès le lundi matin, les appels affluèrent sur son téléphone portable.
Il vit passer quarante visiteurs en une semaine.
Le château — on l'appellera château — était en excellent état et offrait une terrasse face à la forêt.
Il aurait pu obtenir le prix exact en quelques mois, mais il voulait aller vite. L'offre la plus sérieuse était 10 % au-dessous du prix initial ; ça le contraria d'abord...
Mais, d'un commun accord avec l'agent immobilier, il négocia le prix à la baisse.
Ça lui faisait quand même 400.000 euros, gagnés sans grand effort de sa part.
Qu'allait-il s'offrir avec tout cet argent ?


Légendes urbaines


Charles dit au revoir à toute la bande et se dirigea vers sa voiture. La soirée avait été excellente, son équipe ayant enfin gagné un match, ce qui était plutôt rare. Cela faisant maintenant sept ans que Charles jouait au football avec ses collègues de la régie et il avait tout de suite apprécié l’ambiance et l’état d’esprit bon enfant du club amateur de la RPTA. On se tapait sur l’épaule, on se claquait les fesses au vestiaire et, surtout, on avait la pinte généreuse au bar du club. Les fins de matches étaient donc souvent bien arrosées et ce soir-là ne fit pas exception. 

Quand Charles ouvrit la portière et s’installa au volant de sa voiture, il savait qu’il n’était pas en état de conduire. Il devait pourtant bien rentrer chez lui, sa femme l’attendait et n’appréciait que modérément ces soirées alcoolisées où finalement le football n’était qu’un prétexte pour se retrouver après le travail. Il ne voulait donc pas aggraver son cas et mit le contact. Une vingtaine de kilomètres le séparaient de son domicile et il prit l’itinéraire habituel. Il aimait conduire, et encore davantage la nuit, quand la ville était calme et endormie. Mais ce qu’il appréciait le plus, c’était de traverser la forêt de Rambouillet, plongée dans le noir, tandis que la lune, de sa lumière voilée, éclairait la cime des arbres et donnait l’impression qu’elle avait été découpée à la pointe des ciseaux. 

Il était plongé dans sa rêverie, en plein cœur de la forêt, quand il crut apercevoir dans son rétroviseur une ombre blanche traverser la route. D’abord surpris, il mit sa vision sur le compte de l’alcool qu’il avait absorbé en trop grande quantité durant la soirée. Il essaya de se concentrer sur la route, ouvrit sa fenêtre de quelques centimètres et respira avec soulagement l’air frais qui s’engouffrait dans la voiture. Il entendait au loin le hululement des chouettes et pensait au lendemain quand soudain l’ombre blanche surgit devant le capot de la voiture. Il freina brusquement tout en donnant un grand coup de volant à gauche, réussit à rétablir la voiture dans sa trajectoire et, cette fois, pris de panique, accéléra sur plus d’un kilomètre avant de s’arrêter sur le bord de la route. Il était trempé de sueur et les effets de l’alcool avaient totalement disparu pour laisser la place à un puissant signal d’alarme qui résonnait dans sa tête. 

Il réussit quelque peu à se calmer, essuya son front ruisselant avec un mouchoir et essaya d’analyser la situation. Il n’avait pourtant pas rêvé, cette ombre avait bien surgi devant lui. Elle avait la forme d’une femme, aux cheveux longs et ébouriffés, et portait une longue robe blanche déchirée. Il tenta d’effacer la vision de son esprit, se dit qu’à son âge on ne croyait plus aux fantômes, se dit aussi qu’il lui restait moins de cinq kilomètres à parcourir avant de sortir de la forêt, et reprit la route. Il ouvrit un peu plus grand la fenêtre et roula plus vite qu’il n’aurait dû mais il était maintenant pressé de rentrer chez lui. L’air de la forêt lui caressait le cou, la poitrine, et l’apaisait grâce à sa fraîcheur. Il ne s’aperçut pas tout de suite que l’ombre blanche s’était glissée dans la voiture et flottait maintenant tout autour de lui. C’est au moment où il sentit deux mains autour de son cou et resserrer leur emprise, doucement, tout doucement, qu’il comprit que c’était la fin. 

D’un coup, la voiture fit un écart et s’encastra dans un arbre. Une chouette hulula au loin.



Hélène

*****


Le bon Samaritain 

Y a-t-il des prénoms prédestinés ? Comment les parents choisissent-ils un prénom ? 
Bien sûr, ses parents étaient de braves gens, gentils et serviables avec tout le monde, mais de là à l’appeler Samaritain !!!... 
Mais, bon an, mal an, il s’était accoutumé à ce prénom et il le servait du mieux qu’il pouvait. Il avait même créé une association caritative, "Le pain du bon Samaritain" et il prenait un soin tout particulier à élaborer des menus complets, avec une entrée, un plat et un dessert. 
Il considérait que lorsqu’on offre un repas, on offre un vrai repas. 
C’est alors que quelques-uns lui firent gentiment la remarque suivante :
— Vous savez, nous, on se contenterait bien d’un plat unique, cela nous suffirait. Et avec l’économie du reste, on préférerait avoir quelques frusques, ou du vin, ou même des cigarettes. 
Samaritain était comme ses parents, brave et gentil, mais il était un peu ‘’soupe au lait’’ et lorsqu’il était contrarié, la moutarde lui montait assez facilement au nez : 
— Moi, je vous donne ce que j’ai et je n’ai que des repas à vos offrir !!! Si vous n’êtes pas content il faut vous en prendre à mes parents !!! 
— Ah bon !!! Mais comment ça, à vos parents ??? 
— Bah oui ! Tiens donc, s’ils avaient eu une fille, vous auriez tout eu… 
... Parce qu’on trouve tout à la Samaritaine !!!

Pierre 


*****


— Quand on rêve que quelqu'un meurt, dans la réalité, il gagne dix ans de vie supplémentaire.
C'est ce que sa grand-mère expliqua à Maurice, un soir d'hiver au coin de la cheminée. Maurice ouvrit de grands yeux. Il n'avait pas encore huit ans ; "dix ans de plus", ça lui paraissait énorme, inimaginable.
— Vois-tu, poursuivit la grand-mère, quand tu étais bébé, ton papi est tombé malade, très malade. Une nuit j'ai rêvé que j'assistais à son enterrement ; eh bien, le lendemain, il a commencé à se sentir mieux, et il est toujours là. 
— Mais alors, Mamie, si tu fais encore le même rêve, il pourra vivre encore dix ans ! 
— Peut-être, dit la grand-mère. Mais on ne maîtrise pas les rêves. 
Quelques années plus tard, Maurice perdit son grand-père, puis sa grand-mère. Il se reprocha de n'avoir pas rêvé de leur mort, il aurait pu les sauver pour encore dix ans. 
"On ne maîtrise pas les rêves", avait dit la grand-mère. C'était vrai, sans doute, en 1920, quand ils avaient eu cette conversation. Mais il suffit parfois d'un esprit précurseur pour changer l'état de la science. 
Maurice n'oublia jamais la promesse des dix ans de vie supplémentaire. Il étudia la neurologie et la psychanalyse ; il voyagea dans des contrée's lointaines pour rencontrer des sorciers et des chamanes ; il concocta des drogues hallucinatoires à base de champignons. Il mena toutes sortes d'expériences, utilisant à leur insu sa femme et ses enfants comme cobayes. 
— Le thé a un goût bizarre aujourd'hui, disait sa femme. 
— On a vomi nos desserts, on est tout retournés, disaient les enfant. 
Et le lendemain Maurice leur demandait négligemment : 
— Vous avez fait des rêves, cette nuit ? 
Un jour, enfin, il reçut la réponse attendue. Sa femme Clémentine lui raconta l'affreux cauchemar dans lequel son mari se faisait décapiter par le boucher du village. À sa grande surprise, Maurice en fut tout heureux ; mais il ne lui révéla pas la raison de sa joie. Lui-même ne rêvait jamais de la mort de ses proches, seule sa propre mort l'inquiétait. 
Grâce à ses breuvages magiques, sa femme rêva encore deux fois de sa mort ; puis elle mourut elle-même, laissant un veuf en pleine forme. 
Maurice se remaria, et poursuivit sa technique avec sa nouvelle femme. Celle-ci passa avec lui les trente dernière années de sa vie, rêvant régulièrement de sa mort ; quand elle mourut Maurice allait sur ses quatre-vingt-dix ans. 
Il commençait à fatiguer, mais il ne voulait pas partir. Il décida de s'installer dans une maison de retraite, dans le sud de la France. 
Il y vit toujours ; il a à présent cent-quatre ans. Chaque dimanche il invite les aides-soignantes à partager une de ses tisanes maison. Certaines sont vidées discrètement dans les pots de fleurs ; mais il y a toujours une âme charitable pour boire un peu du breuvage. Et il y a toujours une nuit où l'une de ces dames fait un rêve dérangeant dans lequel ce si gentil pensionnaire passe l'arme à gauche. 
Mais en réalité, si Maurice rapetisse et se fripe, il ne montre aucun signe de maladie. Il est le plus ancien pensionnaire de la maison de retraite, et le plus vaillant. 
— On dirait qu'il est immortel, disent parfois les aides-soignantes. 
— Zut, on est dimanche, il va encore falloir boire une tisane avec lui. mais ça lui fait tellement plaisir... 

Vanessa