Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 8e lundi


Liponymes

1) Annoncer une naissance


Nous avons la grande joie de vous annoncer que depuis hier, 5 heures du matin, nous sommes devenus les joyaux darons d’un moutard, un petit mec que nous avons décidé de nommer Agamemnon.
L’ex-parturiente et sa production masculine sont dans une forme olympique et arborent tous deux un sourire éclatant.
Le paternel est, lui, heureux comme jamais. 
Nous vous invitons à fêter en notre compagnie ce cadeau béni des dieux en venant sabler le champagne lundi 21 avril 2019 à 20h.
Patrice

2) Le marathon de Paris


Hier avait lieu le traditionnel évènement sportif à Paris, comme chaque année au printemps. 
J’ai l’énorme chance d’habiter dans un des quartiers concernés de la capitale et de subir les aléas qui en découlent : si je veux sortir de chez moi en voiture pour aller voir mon fils ou ma fille en dehors de Paris, il me faut, la veille, aller garer ma voiture dans un quartier hors du parcours prévu. Cela tient de l’étude approfondie. C’est une véritable épreuve dans tous les sens du mot ! 
S’il ne s’agissait que des meilleurs mondiaux, ce serait un moindre mal car en un peu plus de deux heures, c’est une affaire réglée. Mais il y a tous ces lambins qui veulent se prouver qu’ils sont capables de se payer plus de 42 kilomètres avec leurs pieds… et leur souffle. 
En sortant de chez moi hier vers 13h, alors que les premiers arrivés étaient en train de prendre leur douche pour aller déjeuner dans un restaurant huppé, j’ai vu, dans la rue de Charenton, de très vieilles personnes, affublées d’un maillot et d’un short, à la limite de l’asphyxie, cheminer à 0,5 km/h. 
Si ce n’était que ça ! Le soir, en rentrant chez moi, j’ai vu des centaines de bouteilles en plastique dans le caniveau, de chaque côté de la rue de Charenton. 
Je propose que cet évènement soit réservé à quelques privilégiés, environ une centaine, qui essaieront de battre le record du monde, et que les amateurs restent devant leur télé afin d’en suivre le déroulement. Les autres pourront aller s’exprimer dans les Bois de Vincennes ou de Boulogne ou pourquoi pas, à Fontainebleau pour y exercer leur goût immodéré pour la souffrance… et qu’ils nous laissent tranquilles, nous pauvres parisiens, dans notre pauvre ville assiégée !

Patrice


À partir d'un mensonge


C’était un matin d’automne, en novembre, il y a bien longtemps. 

La température n’était, certes pas très élevée, mais le temps était un peu humide, plus propice à rester chez soi qu’à aller passer la journée à l’extérieur. 
C’était les vacances de la Toussaint. Rufus s’apprêtait à sortir de chez lui pour aller rejoindre son ami Jeannot. Ils avaient décidé d’aller pêcher sur le pont d’où ils avaient coutume de plonger dans la Méditerranée, lorsque c’était l’été. 
Leurs parents étaient déjà partis au travail. Ils avaient donc toute latitude de faire ce qui leur plaisait. Lorsque les parents de Rufus lui avaient demandé, avant de partir au travail, ce qu’il avait prévu de faire aujourd’hui, il avait répondu qu’il pensait passer une journée tranquille à lire Sans famille d’Hector Malot, qu’il avait commencé la veille. Rassurés, les parents purent partir tranquilles.
Dès que la voie fut libre, Rufus sortit et courut rejoindre Jeannot à 300 mètres de chez lui. Ils allèrent ensemble chez le marchand d’articles de pêche pour acheter du fil, des petits plombs et un hameçon. Ils allèrent ensuite se chercher une canne de bambou au bord de l’étang.
Ils étaient devenus des experts pour attacher un hameçon, serrer les plombs, utiliser un bouchon de bouteille de vin en liège comme bouchon et se créer une canne avec du bambou. 
Ils entrèrent au Club Nautique dont l’entrée était libre en hiver, se dirigèrent vers le pont où étaient amarrés plusieurs petits bateaux. Ils choisirent de monter sur une vedette, attachée à une bitte d’amarrage, et utilisèrent des bigorneaux comme appât. 
Très vite, les bouchons s’enfoncèrent dans l’eau, preuve, s’il en est, que les poissons attendaient leur venue. Toutefois ils n’attrapèrent pas tout de suite de poissons. Ils commencèrent à s’impatienter.
Complètement concentré sur la pêche, Rufus sentit subitement que Jeannot le poussait vers l’eau en le retenant. Il se retourna et dit à son copain : « mais ça va pas, non, arrête tes bêtises ! » Jeannot rigola et répondit : « je plaisante. » 
Rufus se concentra de nouveau sur la pêche. 
Quelques minutes plus tard, Rufus sentit que Jeannot le poussait de nouveau, mais, cette fois, il trébucha et tomba dans l’eau, terrorisé. Il n’avait jamais nagé sans avoir pied. 
Mû par l’énergie du désespoir, il nagea comme un dératé vers le rivage, à 200 mètres de là. Quand il arriva enfin à sortir de l’eau, il pleurait toujours, dégoulinant d’eau salée et frissonnant de froid. Jeannot le suivait en s’excusant mais Rufus le traita de tous les noms et lui dit : « espèce de salopard, je vais aller le dire à ta mère. » Jeannot se mit alors à pleurer et répondit : « mais non, ne fais pas ça, c’était pour rigoler ! Si tu dis ça à ma mère, elle va me tuer » « Je m’en fiche, je vais lui dire » répondit Rufus. Alors Jeannot se jeta par terre au milieu de la place, face à la mer et dit : « si tu le dis à ma mère, je me laisse écraser par une voiture. »
Il n’y avait aucune voiture à l’horizon. Rufus répondit : « Ben, vas-y, chiche ! »
Il planta là son pote et retourna chez lui, trempé des pieds à la tête. 
Ses parents étaient rentrés pour le déjeuner. Quand ils virent leur fils dans cet état, ils le pressèrent de leur en expliquer la cause. Après quelques mensonges supplémentaires, il finit par dire la vérité. Son père, alors lui colla deux grandes gifles et lui dit : « tu nous as menti ce matin ! A partir d’aujourd’hui tu es puni : tu ne sortiras pas pendant les vacances de la Toussaint. Et je ne veux plus te voir avec ce voyou de Jeannot ! » 
À partir de ce jour, Rufus ne put voir Jeannot qu’en cachette, sauf, bien sûr, à l’école… Ils étaient dans le même CM2. Quand ils étaient ensemble et que le père de Rufus apparaissait, Jeannot se sauvait en courant. Rufus, bien sûr, ne tint jamais sa promesse de raconter à la mère de Jeannot l’épisode de la pêche et ils restèrent les meilleurs amis du monde… sauf en présence du père de Rufus.
Petite cause, grands effets.

Patrice