Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 2e lundi


Ce que j’emporterais sur une île déserte 


  • Un poète mort (pour le manger)
  • De la cire à cacheter (parce que vous le valez bien, et votre courrier aussi)
  • Un yoyo (parce qu’il faut bien s’amuser un peu)
  • Un pack de bouteilles vides (pour glisser vos messages cachetés dedans)
  • Un collier de perles (pour offrir, on ne sait jamais)
  • L’intégrale de Victor Hugo (sauf les pièces de théâtre, à moins que vous ne soyez masochiste)
  • Un couteau à huître (la culture, c’est bien, mais ça ne se mange pas en sandwich – et puis si vous trouvez une perle, ça peut toujours servir le jour ou votre collier cassera, ayez l’esprit pratique !)
  • Des skis nautiques (pour se cultiver le corps, en plus de l’esprit, en promouvant, qui plus est, les ressources touristiques renouvelables du lieu)
  • Un sarcophage (parce que tout a une fin).


Eric
  • Vendredi ou les limbes du Pacifique
  • Une canne à pêche
  • Une dizaine de clés USB avec mes musiques préférées (à condition, bien sûr, de trouver l’appareil qui marchera sans électricité….)
  • A la recherche du temps perdu (que je n’ai pas encore réussi à lire)
Patrice


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Livre ; rhinocéros ; amour ; petits suisses ; esperluette ; tronçonneuse ; caméléon

L'agent de police s'ennuyait ferme au croisement. Il s'est mis alors sur le trottoir près de l'école et a sorti un livre de sa poche. « Les aventures de Robinson en milieu urbain », c'est le titre.

Il a repris la page 52 dont il se délecte toujours tant on y croise d'animaux, amis ou non de Robinson. Son préféré reste le rhinocéros auquel il s'identifie souvent, allez savoir pourquoi. Il le vénère, ce rhinocéros, certains diraient même qu'il lui porte un amour coupable pour ses formes et sa corne. Chacun ses goûts. D'autres préfèrent les petits-suisses mais lui, c'est le rhinocéros, d'un amour féroce.

L'agent de police lève les yeux, cherche une idée nouvelle et dans son esprit, au lieu d'un Eurêka vient une esperluette de la plus belle espèce. Esperluette, esperluette, qu'est-ce-que c'est que cette bête? Qu'importe! L'agent de police reste perplexe par rapport à cette idée de tronçonneuse qui lui est venue en tête. Il lève encore les yeux de son livre et regarde songeusement le beau troène à proximité: Et si je...? Ah, non, impossible, perché sur une branche moyenne, un magnifique caméléon passe du vert à l'orange puis au rouge, au vert, à l'orange....

Jacques-André

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Julien était traducteur de métier. Comme il avait peu de commandes, il occupait son temps libre en rêvant et finissait toujours par s'endormir allongé sur le tapis un livre posé sur le ventre . Très routinier, il avait en horreur tout événement qui venait perturber sa vie quotidienne. Il sortait peu, n'acceptait pas d'invitation et ne voulait pas que quelqu'un vienne chez lui. En somme il vivait comme un ours dans sa tanière.
C'est peut-être pour cela que son éditeur lui proposa de le rencontrer au zoo... Habituellement il recevait ses offres de travail par mail.

Surpris et un peu furieux, il ne répondit pas. L'autre insista tant et tant qu'il finit par accepter d'y aller un jeudi, jour de nocturne, pensant qu'à cette heure les visiteurs seraient moins nombreux. Mieux valait le zoo qu'un café Place de l'Opéra.
Il s'y rendit à pied et arriva si tôt qu'il décida de visiter le lieu. Il tomba en arrêt devant l'enclos du rhinocéros. Ils se fixèrent l'un l'autre dans bouger. Son éditeur le trouva ainsi immobile. Il le sortit de son état de torpeur en l'interpellant très fort.
Il entra dans le vif du sujet.
— Je voudrais que tu traduises un livre hongrois sur l'amour. Tu auras du temps. Je te ferai expédier une caisse de petits-suisses ; je sais que c'est ton péché mignon. 
Julien resta sans voix. Un livre entier à traduire, quel bonheur ! 
Il détacha son regard du rhinocéros et leva les yeux au ciel. Des flamants roses prenaient leur envol et Julien pensa à des esperluettes dans un texte.
Le son d'une tronçonneuse le ramena à la réalité. Son éditeur avait disparu. Julien se demandait encore si ce qu'il venait de vivre était réel. 
Hagard, il marcha au hasard et s'arrêta net devant une branche morte sur laquelle était perché un caméléon. Il était si différent de cet animal ; celui-ci s'adaptait à son environnement alors que lui-même ressemblait à un fossile. 
Ce fut le gardien du zoo et son sifflet qui le tirèrent de ses réflexions, Il regagna son domicile toujours aussi perplexe quant à la proposition de son éditeur. 

Anne-Marie

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La semaine dernière, j’étais à Londres pour visiter une dernière fois cette belle ville avant le Brexit. Il ne me restait qu’une livre en liquide et il fallait absolument que je la dépense, afin d’oublier la monnaie anglaise.

Je décidai donc d’aller au zoo de Londres passer une partie de la journée.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’aperçus un petit garçon nommé Léon, collé contre une grille et regardant un rhinocéros mâle nommé Amygdal qui courait derrière sa femelle nommée Luette et qui ne parvenait pas à la rejoindre malgré tous les efforts déployés.

Manifestement, le gamin, s’étant pris d’amitié pour le rhinocéros mâle, entreprit de l’aider dans sa recherche d’amour. Il utilisa un subterfuge que ni la ville ni le zoo n’avaient coutume de voir en leur sein : il sortit de sa poche un petit-suisse et tenta d’attirer la femelle. Celle-ci, qui avait une faim de loup, s’approcha de la grille pour happer le petit-suisse tendu par l’enfant. Dans un suprême effort, Amygdal arriva le premier sur le petit-suisse et le vola au nez et à la barbe de la femelle et, triomphant, lui lança d’une voix ironique et triomphante : « espère Luette ! »

Celle-ci, furieuse et frustrée, arriva en trombe sur Amygdal et, d’un coup de corne digne d’une tronçonneuse, elle lui trancha la gorge.

La maman du petit garçon, horrifiée par cet extrême acte de violence, cria à son fils : « il faut te calmer Léon ».

Patrice

À partir d'une première phrase



Depuis cet héritage, ma vie a basculé. Je menais une vie rangée sans histoire, genre métro, boulot, dodo. D'un esprit plutôt rationnel, je m'accrochais aux faits réels. Je ne croyais que ce que je voyais et cherchais toujours à expliquer, comprendre ce qui était dit.

Un beau jour, je fus convoqué par un notaire, Maître Oscar Laudelas qui m'annonça que je venais d'hériter d'une propriété en Écosse et d'un titre. Sans vouloir me donner davantage d'explications, il insista pour m'accompagner là-bas. 
Découvrir un lieu inconnu avec un parfait inconnu pouvait être amusant. De plus il semblait connaître l'endroit.
En arrivant, derrière la haute grille, s'étalait un immense parc planté d'arbres séculaires et au loin une grosse maison qui me parut assez austère. 
Nous entrâmes dans la demeure en poussant le lourde porte qui se referma d'elle-même en claquant. Sur les murs, pas de papier peint mais des signes calligraphiés qui semblaient bouger lorsque je progressais dans les pièces. Aucun meuble en dehors d'une horloge à balancier qui fonctionnait. Un bruit de voix venait de l'étage. Maître Laudelas me rassura. Je ferais connaissance plus tard. Deux heures déjà que nous parcourions les différentes pièces quand je fixai la pendule. Les aiguilles avaient avancé de six heures ! Je décidai que finalement elle ne fonctionnait pas. 

À 18h à ma montre, une procession descendit l'escalier et l'ensemble des personnes de tous âges se prosternèrent devant moi. Maître Laudelas fit de même.
Intrigué, j'observais sans comprendre cette foule silencieuse. Pris d'une inspiration soudaine je levais les mains au-dessus de ma tête. Les chants commencèrent. 
C'est ainsi que je devins gourou d'une société secrète et perdis tout lien avec la réalité dans laquelle je vivais auparavant.

Anne-Marie


*****

Je ne sais pas comment cela a pu arriver.

C’est une histoire qu’on ne peut rencontrer que dans l’imagination d’un écrivain qui n’est guidé que par son inspiration et sa volonté d’inventer toujours quelque chose de nouveau.

Il y a trois jours, j’ai été contacté par une sorte de notaire spécialisé dans la recherche d’héritiers improbables à travers le monde. Sa rémunération consiste à obtenir un pourcentage du bien concerné à négocier avec l’héritier.

Cette personne donc me contacte par téléphone et m’apprend que je suis l’unique héritier d’une personne qui s’est éteinte il y a environ deux ans. Si je suis intéressé et que je souhaite connaitre la nature de cet héritage, elle me propose une rencontre sous quinze jours devant le Brandenburger Tor à Berlin. Nous fixons donc un rendez-vous dans dix jours, le 24 octobre 2019 à 14 heures. Le notaire m’informe qu’il portera une veste violette. 

Je réserve donc un billet d’avion low cost pour Berlin. Le jour dit, il me faut me lever tôt car l’avion est prévu pour 6 h 50 à Orly. Comme d’habitude, je m’endors jusqu’à l’arrivée à Berlin-Schönefeld 1h45 plus tard. Le trajet en taxi entre l’aéroport et la Porte de Brandenburg dure une heure et demie.

Il me reste trois heures avant le rendez-vous. Je rentre dans un restaurant et me commande une saucisse frites et une bière. A 14h je suis devant le lieu de rendez-vous et je remarque tout de suite l’homme à la veste violette. Après avoir fait connaissance, il m’invite à le suivre jusqu’à son cabinet qui se trouve sur l’avenue Unter den Linden.

Après les salamalecs habituels, il me lit le texte suivant : « Ayant décidé de terminer ma vie sur cette île déserte proche des Iles Fidji dans le Pacifique et ayant constaté pendant les 30 dernières années de ma vie que personne n’avait revendiqué la propriété de ce paradis sur terre, j’estime en être l’unique propriétaire et lègue donc cette ile à mon ou mes héritiers. Etant fille unique d’un couple décédé, n’ayant jamais été mariée et n’ayant eu aucun enfant, je ne sais pas à qui reviendra cette île. Comment serai-je retrouvée quand je mourrai, je ne sais pas…Comment les démarches seront-elles organisées, je ne le sais pas non plus. Et bonne chance à l’heureux héritier. »

Le ciel me tomba sur la tête en entendant ces paroles. Il ne me fallut pas plus de cinq minutes pour décider que je terminerais ma vie sur cette île isolée. Seule concession : un cinquième de l’ile sera offerte au notaire pour payer ses recherches de l’héritier que je suis.

Oui, depuis cet héritage ma vie a basculé. Adieu veau, vache cochon, couvée... Vive la vie en pleine nature et en pleine solitude – le notaire, je l’espère, ne viendra jamais y vivre et n’aura pas l’idée saugrenue de vendre sa partie de l’île… 

Demain je commence à écrire mon testament car on ne sait jamais de quoi demain sera fait, n’est ce pas ?

Patrice

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À l’encre rouge


Depuis cet héritage, ma vie avait changé.
En fait, il se résumait à simple stylo-plume d’antan, à la plume en or, et au corps en bakélite. 
Cet objet, des plus anodins à priori, avait en fait une grande valeur symbolique. Tenez-vous bien : il appartenait à mon oncle, le célèbre écrivain d’horreur Jean Pâle !
Tenir entre mes doigts l’outil de travail de ce puissant génie regonflait mon inspiration, qui ressemblait depuis trop longtemps à un ballon crevé.
J’en écrivais, des pages et des pages ! C’est à peine si je prenais le temps de manger et de dormir. Les récits se succédaient, tous passionnants, mouvementés, sanglants à souhait, et spontanément bien construits, ce qui m’épatait.
Mais qui me surprenait le plus, c’était la couleur de l’encre, qui sortait rouge de la plume en or, même quand la cartouche était remplie d’encre noire ou bleue… 
Je n’eus jamais l’occasion d’enquêter sur ce mystère : un soir, particulièrement épuisé, je tombai exsangue, la tempe sur le papier, après avoir rédigé une courte nouvelle qui donnait la clef de l’énigme. 
Le stylo était en fait une entité maléfique qui nous avait utilisés, mon oncle et moi, comme autant de crayons humains, dont l’encre était le sang, pour mettre rouge sur blanc le fruit de son inspiration monstrueuse. 
Qu’on en juge : le titre de la nouvelle était « Un vampire nommé Waterman »…

Eric