Cadavre exquis
Le petit chat rackette un jour de marché subitement.
Le tableau noir joue les Parisiens là où l’on veut.
La pierre fume une bille et un calot dans le jardin.
La petite sorcière malade fleurit un ballon dans le noir total.
Léon a reçu un cube vert derrière l’église.
Le poste de police regarde une prune à 90 euros très maladroitement.
Le facteur gai faisait une cigarette passionnément.
Portrait cubique
Vu son âme s'élever très haut
La beauté ne caractérise pas Charles-Édouard. Néanmoins sa taille réduite n'altère en rien sa capacité à voir grand. Cela explique sans doute pourquoi il a choisi de devenir sauteur à l'élastique. Professionnel, bien sûr ! Son visage émacié facilite beaucoup son travail au moment du saut, comme une proue fendant les flots. Précision : il saute depuis le Pont du Diable, à Andevent.
Au bas du Pont du Diable, je vis tranquille, moi la petite marmotte. Je me suis habituée à voir cet homme accomplir des prouesses. Je me retiens de l'encourager par mes petits cris pour ne point perturber sa concentration. Quelle allure a-t-il ! Tel un ange, il bascule du pont, déploie ses bras, défile dans le défilé. La corde se tend et hop ! le voilà rétabli, souriant à la vallée. À ce moment-là, je ne manque jamais d'applaudir de mes petites pattes avant d'aller quérir ma pitance quotidienne.
Le rapport de police reste imprécis. Le dénommé Charles-Édouard est un professionnel du saut à l'élastique, est-il relevé. L'enquête a permis de comptabiliser pas moins de 1474 sauts réalisés avant celui d'hier, à 15 heures, est-il précisé. Le dénommé Charles-Édouard avait-il mal attaché l'élastique ? Première interrogation. Ou bien, comme cela est déjà arrivé ailleurs, avait-il changé pour une corde qui se serait avérée trop longue ? Et donc fatale. Deuxième possibilité. Un complément d'enquête montrera si oui ou non la corde avait été préalablement sectionnée en partie. Dernière éventualité.
À défaut de famille, les amis se sont cotisés pour offrir une sépulture au cimetière d'Andevent. Ils ont choisi d'y adjoindre un ange d'albâtre afin d'illustrer la personnalité et le professionnalisme de Charles-Édouard. Certains ont même vu son âme s'élever très haut.
Jacques-André
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Deux visions différentes
1ère vision
Evariste est un enfant qui sort de l’ordinaire.
À 13 ans il a un comportement inhabituel pour un enfant de son âge. Il a des idées politiques qu’il exprime dans quelque endroit qu’il soit, et avec un entourage d’adultes ou d’enfants.
On peut admirer ses connaissances et ses analyses mais, au bout du compte, cela peut devenir énervant car il se mêle de tout même quand il n’est pas sollicité.
Ah, bien sûr, il a des résultats scolaires exceptionnels, les professeurs étant généralement subjugués par la maturité et la culture de ses écrits ou de ses interventions orales.
En revanche la plupart de ses condisciples ne le considèrent pas comme l’un des leurs.
Peut-on dans ce cas parler d’un surdoué ? C’est la grande question. Ses parents n’ont encore rien décidé concernant le choix d’un établissement scolaire qui serait plus adapté à sa personnalité. Ils hésitent encore.
Ah, une caractéristique que j’avais oubliée : c’est un beau gosse aux yeux bleus qui commence sérieusement à s’intéresser aux filles.
2ème vision
Eh les mecs, il faut qu’j’vous cause d’un mec de ma classe ! On s’demande d’où il sort !
D’abord il a un prénom zarbi : Evariste ! T’en as vu des comme ça autour de toi ?
En plus, dans toutes les matières, il faut qu’il ouvre sa bouche – et je suis poli – pour répondre au prof alors que nous, on n’a pas encore compris la question. Et les notes ! J’te dis pas les notes : 17 en maths, 18 en anglais, 18 en rédaction, 19 en histoire, 18 en géo ! Heureusement en sport il a 6 ! Grâce à nous ! On voulait nous imposer la danse. Nous on voulait pas ! Lui si !
Du coup il y a pas eu de danse et il a fallu qu’il fasse les autres sports : course, saut en hauteur, lancer de poids etc. Et là il a eu 6 ! On est super contents !
Y a qu’un truc qui nous met les boules : toutes les meufs sont amoureuses de lui ! J’sais pas ce qu’elles lui trouvent !
Patrice
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Alicia est la propriétaire d'une petite boutique au coeur du 12e arrondissement, appelée Alicia Teas", où elle vend toutes sortes d'herbes et tisanes en vrac et des préparations diverses à base de plantes. Alicia est une femme entre deux âges, grande, fine, aux cheveux grisonnants; Elle habite au-dessus de sa boutique. Elle y travaille six jours sur sept; le dimanche elle quitte Paris et revient le lundi matin à l'aube.
Je n'aurais jamais dût emménager dans cet immeuble. J'habite au premier étage, et juste en-dessous il y a cet horrible magasin avec ces plantes qui puent, tout mon appartement est imprégné des odeurs de thé. Soi-disant thé. À mon avis, des préparations du diable. Il n'y a qu'à voir cette Alicia, avec ses cheveux de sorcière. Quand je la croise sur le palier je frissonne. Et puis je la vois partir tous les dimanches matins avec son sac en toile, qui contient sûrement son matériel de sorcière. Je l'imagine bien dans la forêt, réciter des incantations et cueillir des plantes empoisonnées. Le lundi matin elle revient avec son gros sac et elle remplit les bocaux de sa boutique. Dès que j'aurai plus de preuves, j'appellerai la police.
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Alicia est merveilleuse. Elle a soigné mes troubles gastriques avec sa tisane du Soleil, ma constipation avec son mélange Détox & Amour, mes rhumatismes avec son thé vert à l'écorce de châtaignier. Mon médecin ne me croit pas, mais sans cette femme hors du commun je serais peut-être morte.
Je suis un peu surprise par le parcours d'Alicia. En terminale scientifique (bac C à l'époque), c'était ma meilleure élève. Très prometteuse. Elle se destinait à faire médecine, ou bien de la recherche scientifique. Et puis, je ne sais pas ce qui s'est passé. Peut-être ce stage "cri primal et découverte de son enfant intérieur" en Ardèche... Après cela elle a bifurqué vers les sciences occultes, qui n'ont de science que le nom. Et elle a ouvert ce bric-à-brac. Le seul point positif est ce nom "Alicia Teas", pas mal trouvé; j'y retrouve bien son esprit affuté.
Moi, Alicia, je la trouve très belle. Je vais lui offrir des fleurs et l'inviter à dîner dans un petit restaurant tibétain vegan. Je sens qu'on va bien s'entendre.
Vanessa
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Sangloter, lettre, moment, liberté, formidable, vaillant, éloigner, recevoir, Marguerite, terminer, conter, femme.
Lorsque la femme qu’il avait tant aimée pendant douze ans disparut du jour au lendemain, sa tristesse et son désespoir occupèrent son quotidien de manière permanente.
Pourtant il aurait pu profiter de cette liberté qu’au fond de lui il espérait depuis longtemps, car la présence de cette personne, en même temps qu’elle le ravissait, perturbait sa conception du monde.
Il ne put recommencer à espérer que lorsqu’il reçut une lettre provenant de nulle part. Il mit un long moment avant de se décider à l’ouvrir.
Tout d’abord, rempli d’un formidable espoir, il s’arrêta de sangloter et, d’un geste presque vaillant, il ouvrit la lettre.
À l’intérieur de l’enveloppe il trouva plusieurs pétales de marguerite qui lui prouvèrent que c’était bien elle qui avait écrit. En effet, ils avaient coutume tous les deux d’effeuiller une marguerite quand ils se promenaient dans la nature.
Dans la lettre elle lui contait pourquoi elle s’était éloignée de lui.
Quand il eut terminé la lettre, il comprit que sa vie était finie.
Patrice
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La lettre
Elli, de nature plutôt gaie, fut aperçue en train de sangloter, tenant une lettre dans la main droite. Sa main tremblait, son visage était bouleversé, rayé de rides. Son ami Jan mit même un moment à la reconnaître. Intimidé, il prit la liberté de lui demander le motif de sa peine, ne voyant plus la femme formidable, toujours vaillante qu'il connaissait depuis toujours. Au contraire, le corps d'Elli semblait s'être ratatiné, racorni comme une feuille d'automne. Au lieu de répondre à Jan, il la vit s'éloigner à pas comptés, pliée sur elle-même comme si elle avait reçu un coup de poing à l'estomac.
Heureusement son amie Marguerite passait par là.
Marguerite a le don d’illuminer un seau à charbon ou un ciel d'encre. Mais aussi ses proches ou même les gens croisés sur son chemin. Marguerite est l'optimisme incarné, quoi qu'il arrive. Elle ne peut rien faire sans se départir d'un sourire radieux qui se propage.
Avec précaution, Marguerite se mit à conter à son amie Elli l'histoire d'une triste femme, narrant sans trop appuyer le vécu de son quotidien. Le point d'acmé atteint, Marguerite lui raconte qu'un jour la vieille femme s'était dévêtue de ses habits, un à un, jusqu'à ce que de beaux vêtements apparaissent sous les vieilles hardes. La triste femme perdit ses traits qui prirent l'apparence de ceux d'une jeune fille, vêtue de couleurs gaies, marchant d'un pas vif et souriant à la vie.
Elli s'est alors redressée, a regardé son amie, lui a pris le bras. Et elles se sont envolées.
Jacques-André
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Il réussit à réfréner une forte envie de se mettre à sangloter. Il venait de réceptionner la fameuse lettre, celle qui le renverrait au front.
Ce moment de liberté était arrivé à son terme. Il savait qu’il devait préparer son paquetage et faire ses adieux.
Sa première pensée fut pour sa douce épouse, celle qui l’accueillait à chaque permission. Elle veillait sur lui et l’aidait à panser ses blessures du corps et de l’âme. Elle était unique, sublime et formidable.
Maintenant, il fallait être vaillant, ne pas fléchir devant les horreurs à venir, ne pas fléchir devant les semaines pendant lesquelles il serait éloigné d’elle.
Les semaines passèrent dans les cris, la boue et le sang. L’espoir de retour s’amenuisait.
Enfin, cette guerre prit fin. Il reçut son ordre de démobilisation.
Après ces mois de solitude, il allait enfin retrouver les bras de Marguerite. Tout était terminé, pouvait maintenant s’apaiser en contant ses mésaventures à sa femme.
Jean-Pierre