Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 2e atelier

Cadavres exquis


Le cerisier en fleur
c'est comme un ouragan de printemps
parce que ça ne me plaît pas du tout d'obéir.

Un regard absent
c'est comme la neige en été
parce que les philosophes ont la barbe longue et les idées noires.

Le canari jaune
c'est comme du lard qui grille
parce que c'était lui, parce que c'était moi.

La tour Eiffel tout endimanchée
c'est comme un arbre fleur
parce que j'avais vu exactement le même modèle chez Darty hier.

La Reine Mère
c'est comme une soirée d'automne
parce que le jardin secret était ouvert.

Le petit chat gris aux yeux orange
c'est comme une porte fermée à double tour
parce que les chats ont neuf vies.

Le grand Anatole regarde intensément une vieille pomme véreuse avec délectation.

La fillette en robe rouge et à longues tresses a attrapé le saxophone de mon voisin c'une manière très insolente.

Le petit Poucet mange une valise pleine de théières dans un manoir lugubre du 17e siècle en Écosse.

La cantatrice de l'Opéra de Paris dégustait la pelouse attendant d'être tondue dans une faille spatio-temporelle.


Logo-rallye


bibliothèque, mystère, tisane, phrase, sapin, banane, omelette, étoile 


« Double meurtre à la bibliothèque Paul Valéry : le mystère s’épaissit ». 
De notre envoyé spécial à Saint-Vlatin, Sylvain Smet. 

Les policiers chargés de l’enquête sur le meurtre de Josiane et Fernand Carton, survenu dans la soirée du 10 octobre au rayon littérature en gros caractères de la bibliothèque Paul Valéry, se trouvent chaque jour confrontés à des indices de plus en plus troublants. En effet, après avoir retrouvé près des corps un sachet de tisane où était écrite, à la main et de façon quasi illisible, une phrase énigmatique « Rendez-vous à 22 h, le 10 octobre, devant le livre "Sapins et autres conifères" à la bibliothèque Paul Valéry », les enquêteurs ont découvert ce matin que Fernand Carton avait contracté une dette auprès de Joseph Lesplat, l’épicier du village. Ce dernier a informé la police que M. Carton lui devait la somme de 3,70 euros pour l’achat de bananes qu’il n’avait pu payer en raison d’un prétendu oubli de porte-monnaie. La vengeance serait-elle au cœur de cette sombre affaire ? « Cela reste une hypothèse crédible », affirmait ce matin, lors d’une conférence de presse, le commandant de police en charge de l’enquête, Pierre Chopin. « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, continua-t-il. M. Carton savait qu’il courait un risque de représailles en n’honorant pas sa dette auprès de M. Lesplat. ».
Josiane et Fernand Carton se trouvaient-ils au mauvais endroit, au mauvais moment ? L’épicier leur a-t-il volontairement donné rendez-vous à la bibliothèque et, pris d’un coup de sang, se serait-il acharné sur eux avec un livre à gros caractères ? Une chose est sûre : la bonne étoile des époux Carton ne brillera plus dans le ciel de Saint-Vlatin. 
Hélène


À partir d'une première phrase imposée


Il est des jours à Paris où la foule est une forêt de visages inconnus. Il est est d'autres où chaque tournant de rue est un lieu de rencontre.
Je marche sans penser à rien, les yeux dans le vague, porté par mes pieds qui me conduisent comme chaque jour vers la station de métro, mon attaché-case dans une main, ma tasse isotherme dans l'autre, quand un brusque mouvement dans mon champ de vision me tire de mon hypnose matinale. Un homme a surgi devant moi, il me barre le passage de son corps et me regarde fixement.
Je le regarde à mon tour, avec curiosité et un début d'agacement car il brise les règles implicites du trottoir à l'heure de pointe ; et voilà que je le reconnais. Mon coeur s'agite violemment, mes jambes fléchissent, mon front devient moite. C'est Rico, un fantôme venu de ma vie antérieure, que je croyais bien tranquille dans sa cellule de la Santé. Il rit de son petit rire sec, sans joie, qui annonce les ennuis.
- Tu me remets, à ce que je vois. Je t'ai manqué ?
Je bredouille quelque chose, je ne sais pas moi-même ce que j'essaie de dire. Rico lance son vilain rire en direction de mon attaché-case.
- Qu'est-ce que tu trimballes là-dedans ? Les vingt-cinq sacs que tu me dois ? Et ton déguisement, c'est quoi au juste, une panoplie de ministre ?
- Je... Je suis banquier maintenant. Enfin, conseiller bancaire.
Rico émet un sifflement.
- Ben mon gars... Le p'tit Kiki, banquier ! T'as dû bien maquiller ton CV. Bon , trêve de plaisanterie. Suis-moi, on a un compte à régler tous les deux.
- Je ne peux pas, je commence à 9 heures...
Rico ouvre sa veste pour me montrer le pistolet.
- Tu as un mot d'excuse. Suis-moi.
Je soupire. Il est des jours à Paris où on ferait mieux de rester couché.
Vanessa


« Il est des jours à Paris où la foule est une forêt de visages inconnus. Il en est d’autres où chaque tournant de rue est un lieu de rencontre. » Mais où a-t-il vu ça ce… comment déjà ? Ah oui, Robert Desnos ! Moi, à Paris, tout ce que je vois à chaque tournant de rue, c’est le parisien pressé, la tête baissée vers le trottoir gris, le téléphone dans une main et le journal dans l’autre, et qui me rentre dedans au son d’un « Oh, hé, ça va pas non, pourriez pas faire attention espèce de tocard ! » Et encore, je suis poli.
Mais bon, je fais des efforts, je ne dis rien, j’essaie de me fondre dans la masse, de faire comme tout le monde. Tenez, l’autre jour, j’ai même fait la queue au cinéma du quartier, pour un film à grand spectacle, Gravity je crois. Évidemment, arrivé devant le caissier, j’ai prétexté que je ne retrouvai pas mon portefeuille avant de sortir du cinéma comme si de rien n’était.
Parfois aussi, au fil de mes errances, je fais des trouvailles intéressantes, comme ce guide de tous les mots utiles au Scrabble – jeu auquel je suis imbattable à présent – ou encore ce roman de Robert Desnos, Le vin est tiré. Le titre m’a évidemment tout de suite interpellé, car je ne suis jamais contre un petit verre de rouge de temps en temps. Mais attention, n’allez pas vous faire des idées : je ne suis pas porté sur les alcools forts pour un sou. Alors qu’un sou, ça oui, je cours toujours après… Je me suis donc installé, ce matin, sur mon banc de la place Saint-Sulpice, et j’ai commencé la lecture du livre de Desnos. Vous auriez vu la tête des passants qui semblaient se dire : « Cet individu lit Robert Desnos et ose nous demander de déposer une pièce dans un gobelet en carton défraîchi ! Mais dans quel monde vit-on grand Dieu ! ». Moi, ça fait longtemps que tout ce mépris me laisse indifférent. Il a raison, Desnos : la foule ressemble vraiment à une forêt de visages inconnus. Mais je garde espoir. Un jour, je connaîtrai, moi aussi, la joie d’une rencontre au tournant d’une rue.
Hélène


Écrire sans réfléchir


assaut, choucroute, boutonnière, crépuscule, amande, bijou, plastique, lunette 

Décidément, je n’étais pas fait pour ce métier. Quand le colonel cria « A l’assaut ! », je restai immobile. Je repensai à la copieuse choucroute dégustée la veille en compagnie de Simone la douce. J’avais encore à ma boutonnière la rose qu’elle m’avait offerte en souvenir de notre nuit d’amour. J’étais tout à mes pensées quand le colonel hurla à mon oreille : « Et alors, Landon, on compte rester planté là jusqu’au crépuscule ? ». Je savais que si je ne bougeais pas, au mieux c’était l’amende, au pire le mitard. Et là, plus question d’obtenir une permission pour aller acheter un bijou à ma tendre Simone. Bien sûr, je pourrais toujours lui bricoler une babiole en plastique du fond de ma geôle, mais je serais étonné qu’elle apprécie. Je n’avais plus qu’une seule solution : je chaussai mes lunettes, pris mon courage à deux mains et je partis au front.
Hélène 


Je me prépare à l'assaut. Aucun rapport avec la choucroute, mais je pense soudain qu'en rentrant il faudra que je fasse nettoyer la chaudière. En attendant l'assaut, je vérifie mon équipement et je glisse une marguerite dans ma boutonnière. Je suis toujours élégant, de l'aube au crépuscule, c'est un principe. Si je porte un costume vert amande, je choisis une cravate rose. Si je porte une couleur plus classique, je l'égaie avec un bijou, par exemple une chevalière. Mais que je sois d'humeur extravagante ou plus sérieuse, jamais, au grand jamais, je ne porte quoi quoi ce soit en plastique –sauf malheureusement ici à l'armée. Mon seul réconfort, à part ma fleur à la boutonnière, ce sont mes lunettes Armani – une touche de chic dans un monde de brutes.

Vanessa