Inventaire : "je ne suis pas du genre à..."
Je ne suis pas du genre à bricoler le dimanche, c'est bien embêtant, il y a toujours quelque chose qui se déglingue et c'est aussitôt le casse-tête.
Je ne suis pas du genre à me précipiter dans les boutiques le premier jour des soldes. Ni le deuxième. Ni les suivants. Après c'est trop tard.
Je ne suis pas du genre à acheter des vêtements ou des accessoires de marques.
C'est fascinant, cette obsession de la mode qu'on lit dans certains magazines chez le coiffeur. Unetelle avec un sac Chose, hou là là, elle est en retard d'un train ! Unetelle avec des chaussures bidules, précipitez-vous pour acheter les mêmes ! Untel avec un polo Machin, quel ringard ! Et ainsi de suite... Quelles vies palpitantes avec ces préoccupations ! Tout de même mieux que celles des quidams qui se gèlent aux ronds-points depuis des mois, tous vêtus des mêmes gilets jaunes même pas griffés !
Je ne suis pas du genre à me mettre en maillot de bain sur la pelouse de Reuilly ou celles du lac Daumesnil. Tant pis pour le bronzage.
Je ne suis pas du genre à manger des MacDo-frites. Rien que leurs photos publicitaires de hamburgers géants dégoulinants me coupent l'appétit. Et la seule fois où j'y ai emmené ma fille, ravie, elle a vomi ensuite.
Je ne suis pas du genre à envoyer un roman aux éditeurs. Écrire fatigue.
Muriel
Je ne suis pas du genre à jouer avec mon smartphone dans le métro ou le bus. Au contraire, je regarde avec dédain les 90% de ceux qui s’y adonnent. D’ailleurs je n’ai pas de smartphone…
Je ne suis pas du genre à utiliser les caisses automatiques dans les grandes surfaces, même quand mon chariot n’est pas très rempli. Aux personnes qui me suggèrent d’y aller je réponds : et que va-t-il se passer lorsque des postes seront supprimés ?
Je ne suis pas du genre à à utiliser les services d’Amazon qui terre les gens chez eux à attendre le livreur. Je me déplace le plus possible.
Je ne suis pas du genre à acheter de l’agneau de Nouvelle Zélande ou des cerises en hiver. Consommons local et des produits de saison dans la mesure du possible.
Patrice
Ecrire à plusieurs
Il adorait prendre sa pause en plein milieu de la matinée. Il adorait écrire ce qu'il ressentait au moment où il le ressentait. Il n'aimait pas qu'on le prenne pour un idiot. Il aimait parler de lui-même à la troisième personne. Il n'aimait pas les interviews. Il adorait vivre à la campagne. Elle adorait vivre à Paris. Elle adorait passer ses vacances au Maroc. Ils n'étaient pas en couple et heureusement parce qu'elle n'aimait pas la campagne. Elle aimait regarder la télévision.
Sylvie
Malgré leurs personnalités foncièrement différentes, ces deux personnes se rencontrèrent un jour par le plus grand des hasards. Lui, qui habitait la campagne, à 250 kilomètres de Paris, se rendait en train dans la capitale pour se rendre à l'hôpital Lariboisière où il avait rendez-vous avec un cardiologue. Il était arrivé quatre heures en avance et s'était assis à la terrasse d'un café sur le boulevard Magenta pour manger un sandwich et boire une bière. Il sortit tout de suite son cahier pour se raconter sa petite histoire quotidienne truffée de non-événements en parlant de lui-même comme le faisait Alain Delon, c'est-à-dire à la troisième personne.
Une dame s'approcha alors de lui et lui demanda poliment : « Puis-je vous interviewer ? Je suis journaliste à France 2 et je fais une enquête sur les personnes qui écrivent dans les cafés. » Il la rabroua d'une manière sympathique mais ferme.
Elle ne s'éloigna pas pour autant, s'assit à une table voisine et commanda un café. Elle avait un dépliant touristique sur le Maroc.
Quand il vit le dépliant, il lui demanda : « Vous aimez le Maroc ? ». « Oui », dit-elle. Et il lui répondit, souriant : « C'est drôle, je suis du Maroc. Toute ma famille y vit encore. Si vous voulez, je peux demander à ma soeur de vous recevoir chez elle à Marrakech.
Et ils partirent dans une longue discussion.
Patrice
Lui, se livra plus facilement que ce qu'il ne l'aurait voulu, elle l'écoutait et ponctuait son discours d'interventions qui ne révélaient rien sur elle, mais l'encourageaient, lui, à parler.
Le séjour chez la soeur de cet homme lui plaisait, mais elle faisait semblant de ne pas y tenir.
Le temps passa, vite ; et lorsqu'il jeta un coup d'oeil à sa montre, il était tout juste temps de se rendre à son rendez-vous médical. Il se leva, s'excusant et prononça un vague au revoir. Elle le laissa partir. Elle n'irait pas dans la famille de cet homme puisqu'elle n'avait aucune coordonnée, mais elle tenait son interview. Elle l'avait su le mener où elle voulait.
Lui, en attendant le cardiologue, était heureux de cette rencontre, mais regrettait déjà de n'avoir pas eu l'idée d'échanger les coordonnées. A bien y repenser, il s'était épanché, elle avait obtenu son interview, mais il s'en fichait, et pour la première fois s'étonna que d'avoir été pris pour un idiot ne le gênait pas. Il faudrait qu'il consigne cela dans son cahier.
Anne-Marie
*****
Cette journée commence bizarrement, songea Gontran. Sa cafetière avait rendu l'âme dans un triste sifflement avant qu'il ait eu le temps de se faire un café, la radio ne passait que des chansons françaises au lieu des informations habituelles (encore une grève...) et toutes ses chaussettes étaient au sale. Quand il sortit dans la rue, chaussé d'espadrilles, il crut voir un grizzli sur le trottoir d'en face; mais c'était juste une vieille dame en manteau de fourrure. En plein mois de juin. Au bureau, ce fut pire. Il ne vit pas Jean-Mi et Joséphine, ses collègues habituels, mais deux hommes en costard-cravate qui ne répondirent pas à son bonjour. Sur sa table, son agrafeuse avait disparu et ses stylo-billes mâchouillés avaient été remplacés par un bic quatre couleurs. Gontran regarda autour de lui avec angoisse.
Vanessa
Quand la vieille dame qu'il avait déjà aperçue se présenta devant lui avec un sourire inquiétant,la panique se laissa introduire dans son cerveau telle un animal affolé, et il se dit qu'il était en train de perdre pied avec la réalité. Rien d'étonnant ensuite quand ses nouveaux collègues vinrent se poster à côté de la vieille dame en ouvrant leur parapluie et la mettant à l'abri d'une pluie de confettis. Et que penser de cette eau qui se déversa en trop-plein de ses chaussettes dépareillées et qui commença à inonder le bureau sous les regards impassibles de tous...
Francis
Pas possible! Il allait se réveiller et tout recommencer comme une vraie matinée. Quel cauchemar! Allez, réveille-toi, Gontran! Ton train-train quotidien va reprendre. Ouvre les yeux! Rien à faire. La vieille femme avait un sourire de plus en plus sardonique sur ses dents grises, et les deux mastards en costard-cravate, au contraire, affichaient un air de plus en plus impassible. Les confettis ne faisaient rire personne, ce n'était pas la fête. Il se sentit très mal. Alors, Gontran, grinça la voix de crécelle qui sortit du gosier de la vieille, on croyait que ça allait durer jusqu'à la retraite, bien peinardement, cette vie de fonctionnaire, à gratter du papier avec ses stylo-billes? Eh bien, maintenant, il va falloir aller rendre des comptes au Grand Horloger sous terre. Eh oui, tout a une fin, et pour toi, c'est ce matin. Trop tard, pour les regrets...
Le parapluie s'éleva, entraînant les deux costards-cravates et la vieille à fourrure mitée dans les airs. Gontran sentit le lino s'affaisser, fondre, et le sol se dérober, s'ouvrir sur un gouffre noir et glacial.
Muriel
*****
Elle était en prison depuis quinze jours, et déjà elle imposait le respect à ses co-détenues et à quelques gardiens admiratifs de son passé, voire de son présent. En effet, elle avait fréquenté des mafieux et s'était associée à quelques-uns plutôt pour des détournements de fonds et usages de faux que pour des braquages. Plus tard, elle avait continué cette activité mais avec des gens bien placés et "sans reproche", ce qui les mettait a priori à l'abri des poursuites. Et là, elle avait été arrêtée bêtement pour un vol à l'étalage chez H&M, alors qu'elle s'habillait toujours chez Chanel.
Anne-Marie
Lui était en liberté. il aimait les jardins, s'y promener des heures. Il adorait parler de lui. Il adorait écrire et c'est ainsi qu'ils se sont connus. Elle aimait beaucoup parler d'elle mais elle n'évoquait jamais ce qu'elle faisait de repréhensible, ce qui limitait beaucoup ses écrits. Il avait une famille, un femme et plusieurs enfants. Le dernier était encore un bébé. Il s'investissait énormément pour ses enfants. C'était un bon mari. Il adorait se promener à la campagne avec sa femme et ses enfants.
Sylvie
La petite association qui encourageait cette activité de correspondance afin de maintenir un lien entre les détenus et le monde extérieur permettait aussi la rencontre et les discussions. Et c'est de cette façon qu'allait s'engager une relation qui allait détruire la vie de cet homme tranquille et bien rangé. La femme, par calcul ou par inconscience, on ne saura jamais, se mit à lui raconter des anecdotes sur ses activités passées tout en lui disant qu'il ne pourrait jamais les répéter tellement c'était invraisemblable. C'est ainsi que le pauvre homme découvrit que les politiques manipulaient complètement les gens d'une façon tellement originale qu'il en devint fou.
Francis
*****
Cette fille me plaît beaucoup, plus je la croise avec son fox-terrier, plus je la trouve jolie. Grande, mince, les cheveux châtains relevés, jean, talons hauts, un air hautain. Pour croiser son regard, rien à faire. Incroyable, sa capacité à ne pas voir les autres! J'ai beau essayer, impossible. Tout un art, son truc. Pas d'autre solution que de prendre aussi un fox-terrier, ou de trouver un copain qui me confie le sien à promener. Elle n'a tout de même pas entraîné aussi son clebs à ne pas voir ses congénères? Je n'aurai qu'à laisser le mien tirer sa laisse vers le sien, et hop, bonjour, la demoiselle sera bien obligée de réagir. Même si elle ne dit rien, au pire, je m'excuserai, puis je la complimenterai sur son chien, et ceci et cela, quel âge a-t-il? Et il s'appelle comment? Et vogue la galère.
Muriel
Aussitôt dit, aussitôt fait. Je ne suis pas du genre à procrastiner quand j'ai une idée en tête. Me voilà donc dans le chenil "Tous les Toutous du Monde", à la recherche d'un fox-terrier. Ca va me coûter bonbon, cette histoire, mais il faut savoir ce qu'on veut. Après avoir gratouillé les têtes des chiens et parlementé avec l'éleveur, je choisis un fox-terrier déjà âgé de six mois; il sera moins fou-fou qu'un chiot, je pourrai le promener dès aujourd'hui sur le chemin de ma belle.
Tout se passe comme prévu... ou presque. Je n'avait pas anticipé que mon Bobby se jetterait sur l'autre chien, qui se révèle être une femelle, et tente aussitôt de repeupler Paris en fox-terriers.
Vanessa
On pourrait peut-être tirer une moralité de ce qui précède: ne fais pas faire à ton chien ce que tu voudrais faire toi-même. Sinon tu risques de vivre une grande déception. Quand on y réfléchit, ne pas procrastiner c'est bien, mais il faut tout de même réfléchir avant d'agir.
1° Il eut fallu se renseigner sur le sexe du fox-terrier de la dame. Par exemple, la suivre pendant quelques minutes et percevoir comment le chien (ou la chienne) fait pipi. Cela donne déjà un renseignement déterminant.
2° Si on décide que l'angle d'attaque est de trouver un chien de la même race, il faut décider si on choisit le même sexe ou le sexe opposé. Le cas le plus risqué est, bien sûr, de créer de l'agressivité entre chiens. Par exemple, dans le cas de deux mâles non castrés.
3° Créer une histoire d'amour entre un mâle et une femelle chien peut être profitable mais aussi dangereux, car on ne sait pas d'avance comment l'autre réagira.
4° Pour finir, le mieux eut été de draguer soi-même sans chien. On n'est jamais sûr de réussir, certes, mais il faut aussi envisager un succès, ce qui serait, bien sûr, le plus motivant et le plus sympathique.
Patrice
*****
Pourquoi fallait-il que je tombe sur cet idiot de fromager dans ce bistrot désert alors que je venais de me procurer chez le libraire le livre intitulé Les Fromages vous empoisonnent ? En le voyant, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire qu'effectivement il allait empoisonner la journée! Déjà qu'avec sa femme ça ne sa passait pas bien du tout, voilà bien ma chance de le rencontrer avec suffisamment d'alcool dans le sans pour faire fuir même les gendarmes courageux!
Francis
- Mais c'est ce cher monsieur Duraton! J'vous paye un coup, c'est ma tournée, patron, c'est pas tous les jours qu'on rencontre son sauveur!
Qu'est-ce qu'il racontait là, cet abruti aviné au nez d'alcoolique, aussi écoeurant qu'un de ses fromages à croûte bourgeonnante? Et il m'enlace l'épaule, en plus!
- Euh, bonjour Monsieur, quel hasard de vous rencontrer si loin de la rue Taine, c'est votre jour de fermeture?
- Mais oui, tu l'sais bien, fais pas ton innocent.
Ouh la la. Qu'est-ce qui lui prend, il en tient une bonne, pour me tutoyer.
- Euh, oui, bien sûr, vous savez, je perds un peu la notion des jours, avec ce début de retraire.
- Ah oui, retraite, bien pratique, hein! Ca laisse du temps pour s'occuper des femmes des autres, hein, mon cochon!
- Hum, euh, mais... comment cela, pas du tout...
- Allez, patron, encore une tournée. Faut que j'vous présente mon sauveur. Si si, ne rougissez pas. Je suis ravi que vous vous occupiez de la Josette. Depuis qu'elle en a un autre à faire tourner en bourrique, j'ai une paix royale. Quand je pense que j'étais jaloux!
Muriel
- Je vous assure que je ne fais rien avec votre femme, et par conséquent vous n'avec aucune raison d'être jaloux.
- Tu penses, je voix bien comment tu la regards, la Josette. Et je vois bien comment elle te regarde. Ne me prends pas pour un con!
- Je ne vous prendrai jamais pour un con! Voyez-vous, je suis marié et j'aime ma femme. Excusez-moi mais je vais m'occuper de ma femme. Au revoir!
Sylvie
*****
Toutes les familles se pressaient devant l’embarcadère. Il y a avait une infinité de valises à déplacer afin de parvenir au poste de contrôle où les documents étaient vérifiés par un policier sévère et sans souplesse. Les enfants piaillaient et couraient dans tous les sens, inconscients de la gravité de la situation. Les parents étaient stressés, partagés entre l’angoisse du contrôle et la peur de perdre l’un de leurs enfants.
L’atmosphère était tendue.
Quand ils avaient franchi le contrôle, les visages se détendaient un peu mais la situation n’était pas stabilisée pour autant. Il fallait franchir la mer et arriver sur un nouveau continent.
Patrice
Une fois à bord, chacun essayait de trouver un petit coin pour s’installer au mieux durant la traversée. Au bout de quelques jours, les hommes surtout s’interpellaient par leur prénom, blaguaient et semblaient oublier les aléas de leur vie future. Les femmes, en revanche, restaient près de leur progéniture et parlaient peu entre elles, plus conscientes sans doute des dangers et des risques qu’ils avaient pris en décidant de ce départ.
Au bout de cinq jours, la situation se dégrada ; six personnes étaient atteintes de dysenterie, une autre hurlait tout le jour et toute la nuit, prophétisant un naufrage prochain. Puis quelques rats firent leur apparition, terrorisant les mères et les enfants.
Au vingtième jour l’eau douce fut rationnée, c’est à ce moment que l’on découvrit que le capitaine n’avait jamais navigué au-delà des limites côtières.
Un soir la houle se fit de plus en plus forte et le bâtiment craqua à plusieurs reprises de façon sinistre. Là, plus personne ne fanfaronnait, chacun restait prostré près de sa famille. La sirène hurla, le commandant annonça que les canots de sauvetage allaient être mis à la mer. La pagaille qui suivit cette annonce fut indescriptible ; des bousculades, des cris à terroriser les plus courageux. Y aurait-il assez de place pour tous ? Attendrait-on tout le monde ? Qui coordonnait cette fuite ? Comment tout cela allait-il finir ?
Anne-Marie
Comme les naufragés se serraient les uns contre les autres dans le canot de sauvetage et que le jour commençait à baisser, l’angoisse monta d’un cran. Certains se mirent à prier, d’autres chantaient pour se donner du courage, d’autres restaient prostrés. Les enfants avaient cessé de pleurer et se taisaient. Soudain, quelqu’un se mit à crier en agitant les bras, faisant tanguer le canot où il se trouvait ; les autres le forcèrent à se rasseoir, mais bientôt tout le monde vit ce que l’homme avait vu en premier. Un paquebot fendait les eaux dans leur direction. Allait-il fendre les flots à l'aveugle et les faire chavirer comme des coquilles de noix, ou les avait il repérés ? Le suspense fut horrible mais ne dura pas. Le capitaine du bateau avait donné l’ordre de sauver les malheureux sur leurs fragiles canots, et c’est ce que firent ses marins. Tous les naufragés furent mis en sécurité sur le paquebot.
Quant à ce qui leur arriva après cela, c’est une autre histoire.
Vanessa